Version de 1761, annonce Château de Versailles Spectacles pour cette nouvelle intégrale des Indes galantes, mais cet intitulé est à prendre avec un grain de sel, et les choix du chef Valentin Tournet pourront prêter à discussion. Aucune réserve, en revanche, en ce qui concerne une distribution où l’on remarque notamment Emmanuelle de Negri et Alexandre Duhamel.
Après une version sortie chez Glossa au printemps 2019, voici qu’une nouvelle intégrale des Indes galantes retient du ballet héroïque de Rameau la partition révisée en 1761. On en comprend aisément l’attrait, surtout pour qui souhaite l’interpréter en concert : la principale caractéristique de cette nouvelle mouture est d’être privée de l’acte des Fleurs, « fête persane » à l’intrigue certes assez capillotractée, mais qui inclut des airs magnifique et un grand ballet. En arrivera-t-on un jour à une situation comparable à celle de Boris Godounov, dont on ne monte plus guère que la première version, plus courte et donc moins coûteuse pour les théâtres ?
Cela dit, et malgré le silence du livret d’accompagnement à ce sujet, Valentin Tournet semble s’autoriser un certain nombre de libertés, si l’on compare ses choix avec ceux de György Vashegyi chez Glossa, explicitement fondés sur l’édition critique de Sylvie Bouissou. Le disque publié par Château de Versailles Spectacles rétablit dans le prologue le personnage de l’Amour, pourtant supprimé en 1761, mais supprime le deuxième air de Bellone, néanmoins chanté à cette époque. L’insertion la plus étonnante, et sur laquelle on aimerait vraiment en savoir plus, est le parachutage du sublime quatuor « Tendre amour » au beau milieu de l’acte des Sauvages, d’autant plus difficile à justifier qu’il exige de faire intervenir une deuxième voix féminine en plus de Zima, et qui est ici présenté comme « Quatuor des Fleurs ». Version de 2021, donc, plutôt peut-être que de 1761…
Heureusement, la distribution est à même de faire accepter beaucoup de choses. Les artistes enregistrés à Versailles en novembre 2019 et juin 2020 ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux réunis par Valentin Tournet à Beaune en juillet 2019, et le disque répartit les rôles masculins entre quatre artistes au lieu de trois. Pour les hautes-contre, Mathias Vidal s’imposait comme l’un des chanteurs les plus familiers du style ramiste, apte à communiquer à ses personnages un tempérament héroïque que d’autres sont loin d’accentuer autant. Après l’avoir chanté dans la nouvelle production de l’Opéra de Paris en septembre-octobre, Alexandre Duhamel était disponible pour prêter à Huascar un timbre opulent et pour rendre le personnage moins sinistre qu’on ne l’a souvent vu. Parfaitement calibré pour Adario, Guillaume Andrieux étonne en Osman : on n’a pas l’habitude, en effet, d’entendre le « Turc généreux » s’exprimer avec la voix de Pelléas, mais le personnage en acquiert un côté plus galant qu’à l’ordinaire. Edwin Crossley-Mercer a beaucoup moins à faire, en Bellone et Don Alvar, mais le fait bien. Quant aux dames, Julie Roset était déjà ici un Amour très juvénile – avant de retrouver Cupidon dans Titon et l’Aurore à l’Opéra Comique. Ana Quintans campe une Hébé gourmande et sensuelle et une Zima pleine d’autorité. Emmanuelle de Negri, enfin, davantage encore qu’en Phani, montre combien sa présence vocale et dramatique est capable de transfigurer une héroïne comme Emilie, que d’autres chanteuses rendraient insipide.
L’orchestre de La Chapelle Harmonique a de belles couleurs, notamment aux vents, les voix du chœur sont fraîches et vives, mais Valentin Tournet abuse un peu du côté bondissant de sa direction, et la présence très sonore des percussions dans la première partie du prologue rend insensible le contraste entre les plaisirs du royaume d’Hébé et le fracas martial de Bellone.
Hébé / Zima Ana Quintans
Phani / Emilie Emmanuelle de Negri
L’Amour Julie Roset
Don Carlos / Valère / Damon Mathias Vidal
Huascar Alexandre Duhamel
Bellone / Don Alvar Edwin Crossley-Mercer
Osman / Adario Guillaume Andrieux
Chœur et orchestre de La Chapelle Harmonique, dir. Valentin Tournet
Les Indes galantes
Opéra-ballet de Jean-Philippe Rameau, livret de Louis Fuzelier, créé le 23 août 1735 à l’Académie Royale de Musique (version de 1761)
2CD Château de Versailles Spectacles (2 x 75:00′), 2021. Enregistré à l’Opéra Royal de Versailles du 14 au 16 novembre 2019 et les 26 et 27 juin 2020.