CD – Sabine Devieilhe : Bach, Handel – C’est pas la joie
Sabine Devieilhe, soprano
Ensemble Pygmalion, dir. Raphaël Pichon
Extraits d’œuvres de Haendel et Bach
1 CD Erato, 3 novembre 2021
Au terme d’une tournée avec l’ensemble Pygmalion paraît le nouveau récital de Sabine Devieilhe, enregistré non pas après avoir rôdé ce programme Bach-Haendel, mais bien avant, en décembre 2020. Est-ce la raison pour laquelle la soprano est nettement moins convaincante dans l’expression de la joie que dans celle de l’affliction ?
Salade teutonne
Haendel et Bach sont nés la même année, l’un en février, l’autre en mars 1685, mais quelque 130 km séparent Halle de Eisenach. Surtout, Haendel a eu une carrière internationale qui l’emmena en Italie et en Angleterre, tandis que Bach ne s’éloigna guère de ses terres. Rapprocher les deux compositeurs n’a pourtant rien d’aberrant, et le disque conçu avec l’ensemble Pygmalion nous rappelle que l’expression de certains affects pouvait employer les mêmes moyens dans la musique sacrée et dans le répertoire profane. D’où le mélange entre cantate, oratorio et opéra que l’on trouve sur ce disque : « l’affliction, le repentir, et la joie, le désir », tout cela se traduit de manière similaire quel que soit le genre pratiqué et la langue utilisée. Sabine Devieilhe jongle donc entre l’allemand et l’italien, et l’on entend ici deux cantates de Bach dans leur intégralité – la BWV 51 et la BWV 199 – juxtaposées à des extraits de la Brockes Passion de Haendel, ainsi que deux des airs de Cléopâtre dans Giulio Cesare et l’air final de la Beauté dans Il trionfo del tempo e del disinganno. Beaucoup d’affliction, somme toute (la reine d’Egypte n’est présente qu’à travers ses deux arias de déploration, par exemple), « mais on peut égayer tout cela si l’on veut » : c’est la raison de la présence de la sinfonia de la cantate BWV 146, où l’orgue déploie une énergie revigorante, ainsi que de la première des deux cantates susnommées, « Jauchzet Gott in allen Landen ».
« Et puis, la joie, on n’en a pas tous les jours »
Mais pour continuer de citer Golaud, la joie que la chanteuse est censée exprimer dans cette cantate risque de paraître bien terne pour ceux qui ont encore dans les oreilles les « Jauchzet » triomphants d’Elizabeth Schwarzkopf ou les « Alleluia » irradiants de Maria Stader. Même la joie censée conclure l’autre cantate, avec l’aria « Wie freudig ist mein Herz », reste assez mesurée. Faute de véritable jaillissement jubilatoire en début ou en fin de parcours, on en revient donc aux larmes, que Sabine Devieilhe laisse couler avec beaucoup de grâce, d’une voix très pure. C’est une Marie toute juvénile qui pleure la crucifixion prochaine de son fils (Stéphane Degout en Jésus Christ guest star). La retenue dont la soprano fait preuve est plus facile à accepter dans la douleur, et l’on remarque un effort louable pour refléter au moins un peu de la violence du texte de l’âme croyante dans la Brockes Passion. Mais si l’on comprend qu’un excès de pathos pourrait être préjudiciable, on s’étonne davantage de cette joie sans éclat : là où Raphaël Pichon autorise les instrumentistes de Pygmalion à manifester une félicité aux vives couleurs, la voix solistes semble se retenir, se brider. La joie serait-elle devenue un sentiment vulgaire ? Espérons qu’en mai prochain, lorsqu’elle abordera Cléopâtre à la scène du Théâtre des Champs-Elysées (Emöke Barath lui succédera pour les représentations montpelliéraines de cette production signée Damiano Michieletto), Sabine Devieilhe saura trouver des accents plus franchement allègres pour l’espiègle « Non disperar, chi sa ? » ou pour le véhément « Da tempeste »…