Mirrors par Jeanine de Bique – Les doux reflets d’une grande voix

Quelle bonne idée ! Si le concept de ce disque n’est ni neuf ni unique, il met en miroir les mêmes oeuvres croquées par différents compositeurs – d’où le titre de l’album. Ce sont Cléopatre, Agrippine, Rodelinda, Deidamia et Alcina qui se croisent. Et l’essentiel du concept réside dans le subtil agencement du programme où Haendel se taille la part du lion, mais qui nous permet de déguster les musiques de Graun, Telemann ou Vinci et de découvrir deux premières mondiales signées Gennaro Manna et Riccardo Broschi.

Après le feu d’artifice vocal du premier air de Cléopatre tiré du Jules César de Graun, un bouleversant « Se pieta » de Haendel fait contraste. Le ton est donné et le bonheur vocal est au rendez-vous. Jusqu’aux bout du chemin avec l’émotion, sur le souffle, des deux Alcina de Haendel et Broschi en miroir.

Jeanine de Bique est une chanteuse qui a su prendre le temps de murir. Voilà déjà une dizaine d’années qu’elle participait à des concours internationaux. En 2018, elle vivait Mozart au Festival de Salzbourg. Et en cette fin 2021, elle est très attendue pour ses débuts à l’Opéra de Paris dans Alcina de Haendel (Du 25 novembre au 30 décembre NDLR).

https://www.youtube.com/watch?v=RUCsOEJYO20

Ce qui frappe avec ce tout premier récital c’est une certaine évidence. Car dans la voix de Jeanine de Bique, ses vocalises, ses sons filés, il y a une maitrise technique superlative. Il suffit d’écouter son duel musical avec le hautbois dans l’air d’Agrippina de Haendel pour entendre combien elle s’amuse, se joue de toutes les difficultés. Les impressionnantes pyrotechnies vocales des deux airs de Graun sont un modèle d’une technique qui se fait oublier sous une conduite qui semble naturelle tant elle est chantée avec aisance[1].

L’interprétation nous conduit vers le chant pur davantage que vers l’incarnation dramatique, un carmen éclatant comme du carmin, avec un tel charme, un naturel, un sens des climats, des contrastes.

L’accompagnement du Concerto Köln n’est pas en reste, tour à tour brillant, diaphane, enflammé, espiègle. L’un de ses créateurs, le contrebassiste Jean-Michel Forest, est toujours là depuis 1985. L’ensemble n’a rien perdu de son mordant ni de ses couleurs. Il suffit d’écouter les ouvertures qui jalonnent ce récital : la bouillonnante Rodelinda de Haendel et la chatoyante Partenope de Vinci. Une prise de son large et claire permet la mise en valeur des pupitres, du théorbe, du violon d’Evgeny Sviridov, superbe dans l’ouverture de Vinci ou le dernier air, mélancolique, signé Broschi. Dirigé du clavecin par Luca Quintavalle, l’ensemble ajoute au bonheur de cette totale réussite.

Car Jeanine de Bique ne se regarde pas dans son miroir. A travers les splendeurs de sa voix, elle vit son chant et nous emporte dans un monde miroitant. A découvrir de toute urgence !

[1] Tout juste, ici ou là, peut-on trouver une très légère dureté dans tel aigu.

Les artistes

Jeanine De Bique, soprano
Concerto Köln
Luca Quintavalle,
direction

(Berlin Classics – enregistré à Cologne en 2021)

Référence : 0302017BC
EAN : 0885470020174

Le programme

Carl Heinrich Graun (1704-1759)
« Tra le procelle assorto », extrait de Cesare a Cleopatra
« L’empio rigor del fato », extrait de Rodelinda, Regina de Langobardi

Georg Friedrich Haendel (1685-1759)
Extraits de Giulio Cesare in Egitto
« Che sento? Oh Dio! »

« Se pieta di me hon senti »

« L’alma mia fra ma tempeste », extrait de Agrippina
Ouverture de Partenope
« Ritorna, oh caro e dolce mio tesoro », extrait de Rodelinda, Regina de Longobardi
« M’hai resa infelice », extrait de Deidamia
« Mi restano le lagrime », extrait de Alcina

Georg Philipp Telemann (1681-1767)
« Rimembranza crudel », extrait de Germanicus

Gennaro Manna (1715-1779)
« Chi puo dir che rea son io », extrait de Achille in Siro

Leonardo Vinci (1690-1730)
Ouverture de Partenope

Riccardo Broschi (1698-1756)
« Mi restano le lagrime » extrait de L’isola d’Alcina