Les Épopées, dir. Stéphane Fuget
Lully
Miserere
Quare fremuerunt gentes
Jubilte Deo
1CD CD Château de Versailles Spectacles, janvier 2022 (enregistré en mars 2021)
Fuget nous avait déjà subjugué par le premier volume de ces motets, issu d’un concert mémorable. Il poursuit ici son exploration de ce répertoire avec le deuxième des quatre enregistrements prévus. Partout, sa direction relance le discours, surprend, convainc.
« Je ne crois pas qu’il y ait d’autre musique dans le ciel » disait Madame de Sévigné à propos du Miserere lulliste, le plus célèbre des motets français du XVIIe siècle. Et si, depuis, il s’est inventé « d’autre musique dans le ciel », cet enregistrement ouvre des horizons multiples.
Un programme quasi identique à celui-ci avait été capté dans cette même Chapelle Royale de Versailles en 2003, sous la direction d’Olivier Schneebeli [i]. Là où il choisissait la déploration, Stéphane Fuget opte pour le drame. À l’intériorité du premier, s’oppose la chatoyance et la subtilité des timbres du second.
Fuget nous avait déjà subjugué par le premier volume de ces motets, issu d’un concert mémorable [ii]. Il poursuit ici son exploration de ce répertoire avec le deuxième des trois enregistrements qui sont prévus. Partout, sa direction relance le discours, surprend, convainc.
D’emblée, l’orchestre impressionne par la richesse de ses couleurs et la profondeur de sa pâte sonore. Les violons, incisifs, mènent la danse. Ce n’est pas un hasard si, toutes tessitures confondues, il y a vingt-quatre cordes qui sont une référence directe aux vingt-quatre violons du Roi. Le serpent de Volny Hostiou ajoute non pas tant à l’authenticité qu’à la réelle assise et aux couleurs d’un orchestre totalement investi. La viole de Mathias Ferré nimbe ici et là les œuvres d’un vrai mystère poétique; une poésie qui s’instille à tout moment par de multiples combinaisons instrumentales (fin de la plage 5), alors que basson et hautbois font résonner l’élan de la joie (plage 23).
D’emblée, les voix s’élèvent, tour à tour rayonnantes ou bouleversantes, se croisant dans des mélismes subtils qui font entendre le baroque sous un classicisme naissant. Ces voix du petit chœur, anonymes, sortent d’un grand chœur ductile, superbement préparé par Lucille de Trémiolles (plages 1, 14 ou 27 – en fait, à chaque intervention…) Bien sûr, les oreilles averties reconnaîtront au passage les timbres de Claire Lefilliâtre, Marc Mauillon ou Cyril Auvity. Mais c’est l’ensemble qui compte ici, sans vedette – avec un sentiment d’osmose, d’engagement collectif.
Il y a une vraie jubilation dans la façon dont le chœur, comme chacun des chanteurs, déclame en chantant. Car le verbe se fait chair, modelé par la façon de vivre le texte comme par ces micro-intervalles qui enrichissent la texture de l’ensemble sans que cela soit jamais démonstratif ni ostentatoire – mais naturel. Écouter le Jubilate (plages 21 ou 26) transporte réellement de joie.
La dramatisation du discours atteint quant à elle des sommets dans le « Et nunc reges intelligite » du motet Quare fremuerunt gentes. (plage 18). Les voix, les contrastes, les silences, les rebonds ne cessent de relancer l’intérêt et de surprendre. Dans cette exhortation aux rois à adopter la sagesse, le rappel à servir le Seigneur avec crainte étonne par son ton de confidence là où l’on s’attendrait à une menace. Étonnant Lully, maître des ombres et des lumières !
À la lecture somme toute un peu lisse de l’enregistrement de 2003 succède donc une vision pleine de sève et bouillonnante de vie. Loin de la pompe versaillaise, Stéphane Fuget dresse un tableau dramatique de ces œuvres où le texte guide les musiques et les sentiments. Et si aucun moment, aucune note de la partition ne sont laissés au hasard, c’est bien le naturel de l’interprétation qui frappe et nous emporte.
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[i] Disque K 617 (n°157) avec les Pages et Chantres de la Chapelle et Musica Florea.
[ii] Le concert est visible sur Arte jusqu’au 11 novembre 2023. Vous pouvez en retrouver la critique ici !