Ljus : un CD de mélodies suédoises
Marine Chagnon, mezzo soprano
Joséphine Ambroselli, piano
Ljus. Swedish Songs.
Mélodies de Tor Aulin, Wilhelm Stenhammar, Wilhelm Peterson-Berger, Ture Rangström, Bo Linde, Sigurd von Koch, Lars-Erik Larsson, Gustaf Nordqvist, Gunnar De Frumerie.
1 CD Mirare (MIR 608), sorti le 29 avril 2022.
Deux jeunes et talentueuses artistes misent sur la (re)découverte de la mélodie suédoise autour de 1900. Sur la thématique des lumières scandinaves – Ljus – le florilège de 23 mélodies est d’une totale séduction par l’originalité poético-musicale et l’émotion à fleur de peau. Du Romantisme à la connotation folkloriste, l’auditeur découvre un imaginaire insolite.
Musiciens et poètes suédois magnifient la nature et la nostalgie
Certains mélomanes férus avaient découvert les mélodistes scandinaves grâce aux deux enregistrements d’Anne Sofie von Otter – Swedish Songs Wings in the Night (DG, 1996), Waterscolours (DG, 2004). Ils y découvraient les pépites de compositeurs spécialisés dans ce genre intime, de la fin du XIXe siècle aux années 1950. Wilhelm Stenhammar, Wilhelm Peterson-Berger, Ture Rangström, Bo Linde s’y affirmaient successeurs du norvégien Grieg ou bien contemporains du finlandais Sibelius en développant l’art vivant de la chanson et celui plus apprêté (et citadin) de la mélodie.
Mais pour le commun des auditeurs, c’est un émerveillement que de découvrir l’inspiration de cette pléiade de poètes (dont le dramaturge August Strindberg) et compositeurs suédois. Par leurs annotations paysagères, leur culture maritime et leur nostalgie immanente, les poètes Bo Bergmann, Sigurd Agrell ou le prix Nobel Pär Lagerqvist infusent diverses lumières, d’où le titre de l’enregistrement, Ljus. Celle que dégage le tumulte de la navigation (Vogue le navire) s’accorde au romantisme musical, tout comme la « vive lumière blanche » de l’insolite Pré où tu m’as embrassée. Celle voluptueuse des ébats amoureux s’accomplit sous « les nuits claires et riantes » (Au mois de Chaïtra) ou bien s’associe à la fuite du temps lors d’une « nuit où tout scintille » (Sérénade). C’est sans doute dans la sérénité de « la lumière tout simplement » (Ferme les yeux) que la sobre concentration est atteinte.
Dans l’expression nostalgique, les chemins heurtés de la destinée subliment l’émouvant Adieu (du compositeur Rangström) ou accueillent le morbide Fylgia (de Stenhammer) dans une fuite éperdue du sujet souffrant. A contrario, le bonheur de l’ivresse ou la frénésie de la danse sont chahutés au fil de mélodies proches de la chanson en milieu rural. Ainsi, la fraîcheur de Viens bouc, au garçon est perturbée par de plaisants interludes pianistiques, ou bien le tempo insistant de la Valse Böljeby lance les « feux de l’automne ». Dans ce sillage quasi ethnographique, on pense aux Enfantines de Moussorgski ou aux cycles tchèques de Janacek pour l’inventivité qui refuse le strophisme conventionnel de la chanson tout en explorant la modalité.
Deux jeunes artistes complices et voyageuses
Les jeunes artistes françaises sont, l’une à l’orée d’une carrière prometteuse – Marine Chagnon, lauréate de l’Académie de l’Opéra national de Paris – l’autre, Joséphine Ambroselli, pianiste auréolée du Grand prix Lily et Nadia Boulanger avec sa partenaire Marie Perbost (2015), engagée sur les estrades de concert. Pour cette incursion scandinave, les jeunes artistes ont non seulement séjourné en Suède, mais sont conseillées par leurs aînés suédois – le mezzo-soprano Anne Sofie von Otter et le pianiste Bengt Forsberg – ceux-là même qui signaient les deux enregistrements pionniers (plus haut signalés). Dans le livret de présentation, les artistes confient partager un « amour commun pour la culture et les mélodies suédoises » après avoir été frappées « par les lumières que l’on ne voit nulle part ailleurs, très particulières, indescriptibles ». Ici, nous les appréhendons par l’écoute !
Nous avions remarqué le tempérament fougueux de Marine Chagnon lors de son incarnation du rôle-titre de l’oratorio La Giuditta d’A. Scarlatti[1] au festival « Voix d’automne » à Evian. Ici, elle joue des facettes lumineuses de son timbre sur un phrasé tour à tour élégant, frustre selon la situation (Pommiers et poiriers) sans craindre le morceau de bravoure composé par Gustaf Nordqvist, Au large ! aux accents échappés du Vaisseau fantôme. Sa déclamation du suédois paraît naturelle (nous ne pouvons mieux l’évaluer…), tandis que la flexibilité (jusqu’au faîte du sol aigu clôturant Quand tu me fermes les yeux) et les gradations de nuances sont un formidable atout du récital. La complicité avec sa partenaire Joséphine Ambroselli est totale, sans que celle-ci ne cède du terrain, tant sa présence s’appuie sur une musicalité et une écoute sans faille. Les audaces harmoniques, les vagues lisztiennes du clavier (Les ailes de la nuit) ou l’impétuosité héroïque (Au large !) forment un kaléidoscope attrayant.
Aussi, Première Loge ne saurait trop recommander d’acquérir ce CD du label Mirare pour une plongée rafraichissante durant l’été ! Ou bien d’aller écouter les artistes lors de l’ultime étape de leur tour de France : récital Ljus à Sainte Marguerite-sur-mer (Haute-Normandie), le samedi 23 juillet.
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[1] Œuvre d’A. Scarlatti à redécouvrir au festival de La Chaise Dieu avec l’ensemble Les Accents, 20 aout 2022.