Les Nuits d’été par Michael Spyres – Et si en plus, il était soprano ?
Michael Spyres, ténor
Timothy Ridout, alto.
Orchestre philharmonique de Strasbourg, dir. John Nelson
Hector Berlioz, Les Nuits d’été / Harold en Italie
Enregistré du 12 au 15 octobre 2021, Palais de la Musique et des Congrès, Strasbourg.
CD Erato, 72’39
Le label Erato poursuit son projet Berlioz dirigée par John Nelson, après notamment des Troyens très remarqués et un Benvenuto Cellini qui n’est pas non plus passé inaperçue. Le chef américain a trouvé ses interprètes de prédilection, que l’on retrouve donc d’un disque à l’autre (Joyce DiDonato, par exemple), mais pour graver Les Nuits d’été, il n’a pas choisi de respecter le souhait du compositeur, qui prévoyait des chanteurs différents pour les six poèmes de Théophile Gautier. Ou du moins, il a préféré un seul interprète qui se targue d’avoir plusieurs voix. Ce n’est en effet plus un secret pour personne : après avoir longtemps été ténor, Rossini étant d’abord son terrain d’élection, Michael Spyres se présente désormais comme baryténor, alternant à volonté ces deux timbres, comme il le faisait récemment dans un disque portant exactement ce titre. C’est ce qui lui permet un exploit supplémentaire : respecter la tonalité d’origine pour chacune des pièces.
Heureusement, il ne prétend pas encore pouvoir être aussi soprano, mezzo, ou contre-ténor. Car, par-delà la performance physique, il n’est pas sûr que l’auditeur s’y retrouve vraiment. D’une part, parce que l’on a plus d’une fois l’impression que Michael Spyres s’écoute chanter, tout content d’étaler des graves de baryton, voire de baryton-basse. C’est en particulier le cas dans « Le Spectre de la rose » et dans « Sur les lagunes » : le chanteur se fait plaisir, s’enivre du beau son qu’il est capable de produire dans une tessiture où l’on ne l’attendait pas a priori, mais il en perd de vue l’émotion qui devrait affleurer et qu’ont si bien su traduire d’autres artistes. Il y a là un peu trop d’art et pas assez de naturel. De même, la Villanelle initiale manque de fraîcheur : le tempo en est bien lent, et il manque surtout l’entrain que l’on aimerait y entendre. De manière générale, c’est une approche très « opéra » qui a été adoptée ici, dont on peut penser qu’elle n’est pas forcément le meilleur choix pour cette partition qui, même orchestrée, n’est pas si éloignée de l’univers des salons auquel elle était au départ destinée.
La deuxième partie du recueil est en revanche beaucoup plus enthousiasmante, avec deux mélodies dans lesquelles on retrouve celui qui fut le plus somptueux des titulaires du Faust de La Damnation, qui savait nous tirer des larmes lorsqu’il invoquait la Nature immense. « Au cimetière » est une réussite totale, sur un texte qui convient à merveille au ténor – car c’est bien un ténor que l’on y entend, avec un chant qui relève bien plus de l’évidence dès lors qu’il ne cherche plus à prouver quoi que ce soit. Michael Spyres y convainc pleinement et trouve sans effort les accents les plus adéquats, avec cette diction stupéfiante du français qui est depuis longtemps sa caractéristique. « L’île inconnue » fonctionne aussi très bien, prise à un tempo allant, et avec un bel effet de dialogue entre le nautonier et sa belle.
Le programme est complété par Harold en Italie avec le jeune altiste britannique Timothy Ridout en soliste. Déjà protagoniste des deux intégrales d’opéra mentionnées plus haut, l’Orchestre philharmonique de Strasbourg y livre également une fort belle prestation, John Nelson excellant à traduire les atmosphères évoquées par Berlioz, comme le montrait déjà « Au cimetière », décidément le sommet de ces Nuits d’été. Ah, si monsieur Spyres avait bien voulu partager avec ses camarades…