CD – LA VESTALE (Christophe Rousset, Les Talens Lyriques)
Julia : Marina Rebeka
Licinius : Stanislas de Barbeyrac
Cinna : Tassis Christoyannis
La Grande Vestale : Aude Extrémo
Le Souverain Pontife : Nicolas Courjal
Un Consul / Le Chef des Aruspices : David Witczak
Les Talens lyriques, Flemish Radio Choir, dir. Christophe Rousset
La Vestale
Tragédie lyrique en 3 actes de Gaspare Spontini, livret d’Etienne de Jouy, créée le 15 décembre 1807 à Paris.
2 CD Palazzetto Bru Zane, mai 2023
La Vestale, ce sont bien sûr les pages hautement émouvantes dévolues à l’héroïne, qui poussèrent des chanteuses aussi prestigieuses que Rosa Ponselle, Montserrat Caballé, Raina Kabaivanska, Leyla Gencer, Renata Tebaldi, Julia Varady ou Maria Callas à interpréter le rôle-titre. Mais l’ouvrage est loin de se réduire à ces quelques pages, et cet enregistrement rappelle opportunément sa force dramatique, portée par des récitatifs puissants, une orchestration flamboyante, des ensembles impressionnants qui, on le sait, séduisirent Berlioz. L’œuvre n’est pas sans faiblesses : la longueur de certains chœurs fait parfois retomber la tension dramatique, et la scène du triomphe, à la fin du premier acte, est assez interminable… Mais son intérêt est indéniable, tout comme l’influence qu’elle eut sur de nombreux ouvrages ultérieurs, sur les plans aussi bien dramatique que musical (voyez ici notre dossier consacré à l’œuvre). Notons également qu’à l’heure où le célibat imposé aux représentants et représentantes du culte catholique fait de plus en plus débat, certaines répliques du livret d’Étienne de Jouy sonnent étonnamment modernes ! (Le Souverain Pontife : Vous avez violé la plus sainte des lois. / Julia : Est-ce assez d’une loi pour vaincre la nature ?).
Cette version concoctée par le Palazzetto Bru Zane n’est pas la première intégrale en français de l’ouvrage. Mais c’est la première réalisée sur intruments historiques et c’est aussi assurément la plus soignée quant au respect de la diction et de la déclamation françaises – avec peut-être la captation de la soirée parisienne de 1976, où Roger Norrington dirigeait une équipe francophone (Michèle le Bris, Nadine Denize et Robert Dumé), une version que nous n’avons pas encore eu l’occasion d’écouter… Elle bénéficie en outre de la direction de Christophe Rousset, nerveuse, incisive, constamment dramatique – mais laissant s’épancher le lyrisme irrésistible qui colore les interventions de l’héroïne (« Toi que j’implore avec effroi », « Ô des infortunés », « Toi que je laisse sur la terre »…).Bravo au Flemish Radio Choir pour son implication et la qualité de sa diction, et aux Talens Lyriques dont le rendu sonore est évidemment on ne peut plus différent de celui proposé par les forces de la Scala sous la direction de Riccardo Muti en 1995. Plus transparente, plus ciselée, privilégiant le dialogue entre les différentes parties au fondu sonore, leur lecture n’en est pas moins éminemment dramatique, avec une tension qui saisit l’auditeur dès les premières mesures de l’ouverture pour ne plus le lâcher jusqu’au deus ex machina final.
On retrouve avec plaisir la distribution entendue lors du concert donné en juin 2022 au Théâtre des Champs-Élysées : David Witczak est parfait dans les quelques répliques qui échoient au Consul et au Chef des Aruspices ; Aude Extrémo négocie fort bien la transition du hiératisme de ses premières interventions aux accents plus maternels de ses scènes finales ; et Nicolas Courjal a toute l’autorité requise par le rôle du Souverain Pontife.
Le choix de Stanislas de Barbeyrac et Tassis Christoyannis pour interpréter les deux premiers rôles masculins est particulièrement intéressant : le ténor fait valoir de beaux graves et des couleurs vocales parfois barytonnantes, tandis que le baryton fait entendre un timbre clair naturellement ancré dans l’aigu : Cinna apparaît ainsi presque comme un alter ego de Licinius, et cette proximité vocale souligne l’aspect fusionnel de l’amitié qui unit les deux personnages. Tassis Christoyannis, sans négliger la fougue du personnage (superbe « Ce n’est plus le temps d’écouter » au troisième acte) privilégie la tendresse de Cinna ; quant à Stanislas de Barbeyrac, il brosse un portrait particulièrement convaincant et complet de Licinius, viril, amoureux, passionné, avec un « Non, non, je vis encore » très réussi (et superbement accompagné par Christophe Rousset et les Talens Lyriques !). La diction du ténor est par ailleurs d’une clarté remarquable – on regrette juste que personne n’ait remarqué une petite erreur dans le texte (« C’est moi qui de Vesta profana le séjour » au lieu de « profanai »), qu’il aurait été facile de corriger…
Marina Rebeka avait remporté un véritable triomphe au TCE : on retrouve ici tout le soin qu’elle apporte au respect de la langue française – et de la ligne de chant, qui parvient à trouver le subtil équilibre entre dramatisme et poésie caractéristique du personnage. Surmontant les embûches d’un rôle à l’écriture très tendue (le second acte, qui voit se succéder la grande scène « Toi que j’implore », le duo d’amour et le trio « Ah, si je te suis chère », est particulièrement éprouvant !), Marina Rebeka propose une Julia plus femme que prêtresse, plus amoureuse que hiératique, et touche particulièrement dans les moments de tendresse ou de désespoir amoureux, avec notamment un « Ô des infortunés » empreint d’émotion, au legato parfait.
Après Éric Lacascade au TCE en 2013, Lydia Steier (qui a signé cette saison la nouvelle production de Salomé à l’Opéra de Paris) mettra en scène La Vestale à l’Opéra Bastille en juin 2024 : une nouvelle occasion de vérifier l’impact que peut avoir le chef-d’œuvre de Spontini sur le public contemporain…