Carl Ghazarossian, ténor
Emmanuel Olivier, piano
Le Cœur en forme de fraise
Mélodies de Francis Poulenc
« Toréador », Deux mélodies de Guillaume Apollinaire, « A sa guitare », Airs chantés, Tel jour telle nuit, « La Tragique Histoire du petit René », « Le Petit Garçon trop bien portant », « Bleuet », Fiançailles pour rire, « Nous voulons une petite soeur ».
1 CD Hortus (55:11), septembre 2023
Ce n’est pas la première fois que Carl Ghazarossian aborde Poulenc : dans son précédent album notamment (J’aurais voulu être une chanteuse, Hortus, 2021) il avait interprété La Dame de Monte-Carlo et Les Chemins de l’amour. Cette fois-ci, l’intégralité du programme proposé dans ce nouveau CD, Le Cœur en forme de fraise, est consacré au compositeur français. Comme dans l’album précédent, nous y trouvons plusieurs mélodies que nous avons davantage l’habitude d’entendre interprétées par des femmes – à l’exception du cycle Tel jour telle nuit, créé par Pierre Bernac : Carl Ghazarossian poursuit ainsi son intéressante entreprise de partage du répertoire de lieder et de mélodies entres voix masculines et voix féminines. Les voix qui se font entendre à travers les textes des mélodies et lieder ne sont en effet pas nécessairement « genrées » (il ne s’agit nullement de « personnages d’opéras » !), mais sont plutôt celles de narrateurs ou narratrices « neutres » : dès lors, tout comme un homme ou une femme peut délivrer une lecture bouleversante de « Demain, dès l’aube », un chanteur ou une chanteuse peut rendre justice à l’émotion émanant de telle ou telle mélodie. Les femmes l’ont bien compris, qui interprètent depuis longtemps Die Winterreise ou Die schöne Müllerin. Les hommes, quant à eux, restent plus frileux sur ce terrain…
Quoi qu’il en soit, Carl Ghazarossian fait ici une nouvelle fois montre des qualités que nous lui connaissons bien : clarté de la diction, soin apporté à la ligne de chant, facilité à créer des ambiances variées, grâce à un subtil jeu sur les nuances et les couleurs vocales – grâce, également à la complicité du pianiste Emmanuel Olivier, établissant un véritable dialogue avec le chanteur qu’il accompagnait déjà dans l’album J’aurais voulu être une chanteuse. Le ténor excelle dans l’humour et le registre léger (mais qui dit légèreté ne dit pas facilité : voyez la ligne vocale plutôt tendue de «Toréador» !) ; sa voix, cependant, sait aussi évoquer le mystère (l’étrange nostalgie de «Montparnasse» dont le « À l’aventure » final est joliment désincarné) ou la mélancolie, avec un usage particulièrement poétique de la voix mixte ou de la voix de tête : superbes reprises de « Ma guitare, je te chante… », ou de « Fleurs promises, fleurs tenues dans tes bras » (« Fleurs » des Fiançailles pour rire), susurrée… à fleur de lèvres ! Le ténor sait aussi conférer à l’« Air romantique » une fougue et un allant dignes d’un Wanderer schubertien, ou bien figer le temps lorsqu’il s’agit d’évoquer « la vie [qui] se refuse » (« Figure de la force brûlante et farouche »), ou encore établir un saisissant contraste entre l’humour désopilant du « Petit Garçon trop bien portant » et la gravité de « Bleuet »…
Humour, poésie, émotion : ce voyage en terres poulenquiennes est tout à la fois infiniment agréable, mais aussi très diversifié, à l’image du talent protéiforme du musicien français. Espérons que le chanteur et son pianiste auront l’occasion de proposer ce beau programme dans le cadre de récitals !
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Retrouvez ici le ténor Carl Ghazarossian en interview.