Luigi De Donato, basse
Tereza Zimková, Pavla Radostová, sopranos
Collegium 1704, dir Václav Luks
Polifemo
George Frideric Handel : « Sibillar gli angui d’Aletto » & « Fra l’ombre e gl’orrori » (Aci, Galatea e Polifemo)
Domenico Alberti : Récitatifs & Airs de La Galatea
Giovanni Bononcini : Récitatifs & Airs de Polifemo
Antonio Cesti : Cantate Amante gigante
Antonio Caldara : Sinfonia in C major
Johann Georg Schürer : « Dalla spelonca uscite », « Se scordato il primo amore » & Sinfonia de La Galatea
Nicola Porpora « M’accendi in sen col guardo » de Polifemo.
1 CD ACCENT (67:33), Référence: 0024392AC, mai 2024
Pour l’excellence vocale de Luigi De Donato, le soin apporté à l’élaboration du programme et à la réalisation de cet album… un nouvel Appassionato !
Si, dans le répertoire baroque, les sopranos, les mezzos, les contre-ténors ont parfois l’opportunité de graver des récitals permettant de donner un aperçu de leur talent, cette occasion est bien plus rarement donnée aux basses – à qui les compositeurs ont pourtant réservé des pages remarquables, destinées à servir des chanteurs extrêmement célèbres en leur temps : Antonio Montagnana, Christoph Praun, Giuseppe Maria Boschi, Salomon Bendeler, Francesco Benussi ne sont que quelques noms dans la longue liste des basses ayant suscité l’enthousiasme des foules au cours des seicento ou settecento.
On ne peut donc que se réjouir de la parution de cet album mettant, une fois n’est pas coutume, une clé de fa en lumière. D’autant que le programme en est particulièrement original : construit autour de la figure de Poliphème, récemment remise à l’honneur à l’Opéra du Rhin grâce à une nouvelle production du Polifemo de Porpora, le CD fait alterner certains extraits d’œuvres connues ou relativement connues (Porpora précisément, mais aussi Händel ou Bononcini) avec des raretés, voire d’absolues découvertes (Alberti, Cesti – superbe cantate Amante gigante –, Schürer). Une brute épaisse et violente, le Cyclope anthropophage de l’Odysée ? Certes, mais pas que… Car Théocrite, dans sa onzième Idylle, ou Ovide dans ses Métamorphoses nous présentent le monstre monophtalme sous un autre jour : épris de la nymphe Galathée, il tente de rivaliser auprès d’elle avec le beau berger Acis, mais ses prétentions sont vouées à l’échec en raison de son apparence monstrueuse : amour, tentative de séduction, désespoir amoureux, jalousie, fureur viennent ainsi compléter la liste des sentiments éprouvés par Polyphème. Une mine pour les compositeurs, mais aussi pour les interprètes qui peuvent donner libre cours à leur talent et à leur imagination pour révéler les différentes facettes du personnage, bien plus diversifiées qu’on aurait pu le croire !
Pour donner vie à ce monstre protéiforme, on peut compter sur la voix et le talent de Luigi De Donato, qui fait ici revivre avec maestria l’art du chant tel qu’on le pratiquait aux XVIIe (Cesti) et XVIIIe siècles (Händel, Alberti, Bononcini, Schürer, Alberti, Porpora). L’art et la voix de la basse italienne sont bien connus : un timbre naturellement clair mais capable de s’assombrir à volonté en fonction des personnages incarnés ou des situations dramatiques, une voix d’une grande malléabilité, permettant à l’interprète un large panel de nuances, un ambitus impressionnant, une virtuosité jamais prise en défaut : autant de qualités mises ici au service de pages exigeantes, dont certaines constituent de véritables défis vocaux : bien sûr le « Sibilar gli angui d’Aletto » d’Aci, Galatea e Polifemo (connu notamment pour avoir été repris dans Rinaldo), mais aussi et surtout le « Fra l’ombre e gl’orrori » tiré de la même œuvre et qui clôt le récital en beauté. Cet air, peut-être « le plus difficile jamais écrit pour une voix de basse » (dixit Luigi De Donato dans la notice du CD), sollicite en effet toute la panoplie du parfait chanteur : longueur du souffle, sens des nuances, autorité de l’accent, trilles, précision dans les sauts de tessiture (allant jusqu’à deux octaves et demie !), expressivité… La basse italienne s’y montre impériale de maîtrise vocale et d’adéquation stylistique.
S’ajoute à cela le soin extrême apporté à la réalisation de l’album, sur les plans artistique (le chanteur s’est assuré la collaboration de deux sopranos de talent, Tereza Zimkovà et Pavla Radastová, et d’un Collegium 1704 précis, imaginatif, coloré, nuancé, placé sous l’excellente direction de Václav Luks) et matériel (la plaquette du CD a fait l’objet d’une attention évidente, avec notamment des textes de présentation – signés Giovanni Andrea Sechi et Luigi De Donato lui-même – riches et intéressants). Pour toutes ces raisons… un Appassionato, assurément !