Ermione : Serena Farnocchia
Andromaca : Aurora Faggioli
Pirro : Moisés Marín
Oreste : Patrick Kabongo
Pilade : Chuan Wang
Fenicio : Jusung Gabriel Park
Cleone : Mariana Poltorak
Cefisa : Katarzyna Guran
Attalo : Bartosz Jankowski
Kraków Philarmonic Orchestra and Chorus
Direction : Antonino Fogliani et Marcin Wróbel
Ermione
Azione tragica en deux actes de Gioachino Rossini, livret d’Andrea Leone Tottola, créé au Teatro di San Carlo de Naples le 17 mars 1818.
2 CD Naxos. Enregistré en public les 16 et 23 juillet 2022 au Trinkhalle de Bad Wildbad. Notice de présentation en anglais et en allemand. Livret téléchargeable en italien et en anglais. Durée totale : 133:05
Un témoignage qui occupera une place de choix dans la discographie non pléthorique de l’œuvre
Ce nouvel enregistrement en public d’Ermione vient enrichir le catalogue rossinien de l’étiquette Naxos, déjà très étoffé notamment grâce à la collaboration de la maison avec le Festival Rossini in Wildbad, dont est issu aussi l’actuel témoignage. Nous lui savons extrêmement gré de cet engagement de la première heure qui ne semble nullement faiblir.
Notre rédacteur en chef, Stéphane Lelièvre, ayant déjà rendu compte de ces représentations, ne nous attardons pas sur l’historique et la fortune de la pièce. Bornons-nous à rappeler qu’il s’agit de l’adaptation opératique de l’Andromaque racinienne, et à la fois de l’un des titres les plus rares du compositeur et des plus difficiles, les deux aspects étant vraisemblablement liés. Œuvre expérimentale s’il en est, incomprise à sa création, ayant encore du mal à s’imposer au répertoire malgré les trésors qu’elle recèle, elle se caractérise d’emblée par une ouverture atypique – où intervient déjà le chœur au lointain – et par des airs solistes très variés, sollicitant constamment l’intervention d’autres chanteurs.
Bon interprète de Rossini, sans exclusivité néanmoins, Antonino Fogliani donne aussitôt le ton de sa direction du Kraków Philarmonic Orchestra, par un crescendo enivrant où se singularisent en particulier des cordes sagement menées et des vents savamment ciselés, dont la conjugaison heureuse se renouvelle dans la marche menant à l’aria de Pirro, puis dans le finale I, où les seconds dialoguent joyeusement avec le chœur et les personnages, et se marient noblement avec les cuivres afin de soutenir un concertato enflammé, au lyrisme généreux en roulades et fioritures.
Pas toujours intelligible dans l’introduction, le chœur de la même institution cracovienne s’illumine dès l’hymne au soleil de la scène II et se démarque par la suite dans le grand air de l’héroïne qu’il tente de consoler.
La distribution réunie pour cette production de la ville thermale allemande a l’avantage d’être plutôt familière des opéras du Cygne de Pesaro, affichant en Oreste l’interprète sans doute le plus assidu de ce répertoire.
Rôle quelque peu sacrifié, Andromaca, véritable contralto, a la tâche ingrate d’ouvrir le feu. Aurora Faggioli s’en sort avec les honneurs, empreignant cette mère aux aguets de toute la dimension tragique qui lui sied : recueillie dans le phrasé de l’andante, elle déploie une ductilité opulente dans l’allegro. Mélodieuse lorsqu’elle se souvient de son époux Hector, dans le duo avec Pirro, elle crée le contraste adéquat avec la rudesse de son séducteur, martial à souhait dans sa tentative de circonvenir la veuve éplorée, qui le rejoint tout de même dans une strette éclatante. Héros tout d’une pièce, Moisés Marín campe un roi d’Épire extrêmement viril dès son duo avec Ermione, avec qui il partage un sens aigu de la déclamation et une approche belcantiste aboutissant à une strette à la virtuosité singulière. Suave dans le cantabile de son air, à nouveau secondé par une protagoniste très concernée, il confirme sa vaillance dans la cabalette et soutient bravement la comparaison avec ses devanciers de la discographie, tel un Chris Merritt – jadis un Oreste –, entouré de l’Ermione de Montserrat Caballé, de l’Andromaque de Marylin Horn et de l’Oreste de Rockwell Blake.
Dans le rôle du revenant, Patrick Kabongo semble avoir gagné en épaisseur, notamment dans sa cavatine de présentation, sans doute plus connue dans le recyclage alternatif pour Giacomo dans La donna del lago, voire dans la version du Corradino de Matilde di Shabran, avant de se lancer dans une cabalette très brillante, avec l’appui généreux du Pilade de Chuan Wang.
Virtuose – mais aussi guerrière – dans son affrontement avec Pirro, Serena Farnocchia impressionne dans une Ermione dont la grande scène de l’acte II constitue, bien évidemment, l’apogée, morceau monumental à tiroirs dont elle sait articuler toutes les nuances : menaçante dans les quelques échanges avec Andromaca, elle apparaît immédiatement désespérée face au triomphe prochain de sa rivale ; émouvante dans l’andante des larmes, non dépourvu néanmoins de l’énergie adéquate, puis dépitée en raison d’un amour non partagé, elle retrouve sa verve en dénonçant l’inconstance du prince ingrat dans le moderato, avant d’éclater dans la colère de la cabalette (più mosso), se nourrissant d’un crescendo enivrant. Dans le dernier duo avec Oreste, où se dessine véritablement la folie, elle donne vie au drame et à une rage insinuante grâce à des notes dardées, dont son interlocuteur – exceptionnellement expressif dans le récit de la mort – se fait le meilleur complice, en en appelant aux Euménides.
Chez le comprimari, une mention particulière pour le Fenicio de Jusung Gabriel Park dont le beau grave se distingue clairement dans le finale I, puis dans le duettino précédant l’épilogue, s’opposant à un Pilade quelque peu engorgé, avec qui il tisse par ailleurs une remarquable entente dans la strette.
Au total, une version hautement recommandable !