L’audition de ce nouveau disque de la jeune cantatrice française d’origine arménienne Melody Louledjian (dont Première Loge a déjà eu l’occasion d’apprécier le talent sur scène ou au disque), accopagnée au piano Antoine Palloc, invite à une curieuse expérience. Les œuvres au programme balaient sept décennies, du jeune Satie (il a vingt ans lorsqu’il compose sa mélodie Les Fleurs, année de la mort de Liszt) au sexagénaire Wiéner, dont le cycle d’après des poèmes de Robert Desnos voit le jour à l’époque où Boulez improvise sur Mallarmé. Et, pourtant, pendant près d’une heure, nos oreilles n’auront pas eu l’impression de s’échapper d’une année 1920 bercée par des effluves de caf’conc’ et de cabaret.
La pièce maîtresse du programme, Les Chantefleurs de Jean Wiéner, en constitue à la fois le pivot et le point faible. Pivot car c’est autour d’elle que s’articule la thématique horticole de l’album, et qu’elle en traduit toute l’ambition. Point faible car ces cinquante miniatures n’échappent hélas pas à une certaine monotonie, tant dans la ligne de chant que dans l’accompagnement pianistique. La faute à un léger manque de folie et de poésie – un comble, de la part d’un des animateurs historiques des soirées endiablées du Bœuf sur le toit ! La puissance d’incarnation et l’abattage dramatique qui font toute la valeur des incarnations opératiques de Melody Loudjian (au premier rang desquelles Violetta et Lucia) trouvent ici moins matière à s’exprimer, et c’est plutôt « Melody Lou », le double jazzy de la chanteuse, que l’on entend au détour de ces poèmes. S’ils sont « à chanter sur n’importe quel air », comme l’avait précisé Desnos (il suffit de comparer leur mise en musique par Wiéner et par Witold Lutosławski pour mesurer combien son vœu a été exaucé !), on aurait espéré plus de variété dans leur traitement.
Les sept mélodies du Catalogue de fleurs de Milhaud sur des poèmes de Lucien Daudet revendiquent la même brièveté et s’inscrivent dans la même veine que ses Machines agricoles contemporaines : des textes purement descriptifs, comme sortis d’une brochure de pépiniériste, avec la pirouette finale d’un « vous recevrez les prix par correspondance ». Melody Louledjian y fait entendre une palette de couleurs sensiblement plus riche et plus nuancée.
Des quatre dernières mélodies du programme, celle de Satie déploie une séduction toute symboliste, celle d’Honegger affiche une sobre austérité, quand Deux ancolies de Lili Boulanger évoque, étonnamment, quelque scène de la folie où le lyrisme de la jeune soprano s’épand, plus à son aise. En revanche, le charme de l’Âme des roses, par lequel se conclut l’album et que le chansonnier René de Buxeuil avait écrit pour Berthe Sylva, est un peu plus convenu.
Une guirlande de fleurs au charme délicat et volatil…
Melody Louledjian, soprano
Antoine Palloc, piano
Les Chantefleurs, Jean Wiéner (1957)
Catalogue de fleurs, Darius Milhaud (1920)
Les Fleurs, Erik Satie (1886)
Nature morte, Arthur Honegger (1917)
Deux Ancolies, Lili Boulanger (1913-1914)
L’Âme des roses, René de Buxeuil (1924)
1 CD Aparte (60’) , enregistré en mars 2019 à Rolle (Suisse)