Durcissement des frontières nationales ?
Orsay-Royaumont live : CARTE POSTALE
Carte postale, le nouveau disque des lauréats de l’Académie Orsay-Royaumont, permet d’entendre un bouquet de mélodies et de lieder mêlant raretés et « tubes » ; avantage à la France pour ce volume où Poulenc, Ravel, Chausson et Hahn sont particulièrement bien servis.
Elena Harsányi, soprano, Toni Ming Geiger, piano
Victoire Bunel, mezzo-soprano, Gaspard Deahene, piano
Michael Rakotoarivony, baryton, Teodora Oprisor, piano
Fabian Langguth, baryton, Camille Lemonnier, piano
Carte postale
Lieder et mélodies de Schubert, Wolf, Hahn, Chausson, Poulenc, Ravel
1 CD B Records, enregistré le 28 juillet 2020 à Royaumont. 75’
Orsay-Royaumont ou France-Allemagne ?
Après la grande horloge de la gare-musée, une vue des anciens bâtiments conventuels ; après un premier volume intitulé Le Promenoir des amants, le label B Records poursuit avec Carte postale la diffusion des concerts des lauréats de l’Académie Orsay-Royaumont. Avec toujours un programme franco-allemand, mi-mélodie mil-lied, mais cette fois réparti selon des frontières nationales plus strictement définies. L’an dernier, les contours étaient moins nettement tracés : trois artistes français et un chanteur américain se partageaient des compositions signées Schumann, Zemlinsky, Ravel ou Debussy. Cette fois, la situation est assez différente, car une ligne de démarcation linguistique sépare les quatre lauréats de l’Académie en deux groupes bien nets. D’une part, une soprano et un baryton venus d’outre-Rhin ; d’autre part, une mezzo et un autre baryton francophones. Dès lors, il semblait logique que les uns et les autres respectent la division des territoires : Schubert et Wolf pour les deux germanophones, Poulenc et compagnie pour les deux autres, le déroulement des plages se chargeant de rendre un peu moins sensible ce Yalta musical.
Des quatre lauréats 2020, le baryton munichois Fabian Langguth est le seul à n’interpréter qu’un seul compositeur : du Schwanengesang posthume de Schubert, il propose ici les six mélodies sur des poèmes de Heinrich Heine. Le timbre très clair manque encore un peu de densité pour rendre justice à des lieder aussi graves et douloureux que « Der Atlas » ou « Der Doppelgänger ».
Allemande malgré un patronyme hongrois, Elena Harsányi chante elle aussi du Schubert : trois lieder, dont le célébrissime « Du bist die Ruh », auxquels s’ajoutent deux Hugo Wolf, dont le non moins illustre « Anakreons Grab ». La voix est fraîche et pure, mais sait aussi s’imprégner du dramatisme nécessaire à un lied narratif plein de rebondissement comme « Die Geister am Mummelsee ».
Avantage à la mélodie
La palme de l’originalité revient incontestablement à notre compatriote Victoire Bunel, ce qui ne surprendra pas ceux qui avaient remarqué sa personnalité affirmée dès son passage au CNSM. L’originalité en question tient ici moins au choix des compositeurs (Hahn, Chausson, Poulenc) qu’à celui des œuvres : loin des mélodies rebattues, la mezzo-soprano a choisi des pages peu fréquentées. Des Quatre Poèmes d’Apollinaire mis en musique par Francis Poulenc en 1931, on ne connaît guère qu’ « Avant le cinéma » ; la raison est sans doute liée au texte des trois autres, véritables collages cubistes pour le premier et le dernier, « Carte postale » (qui donne son titre au disque) semblant au contraire presque trop classique de la part de l’auteur des Mamelles de Tirésias. Chapeau, donc, à Victoire Bunel d’avoir su se les approprier avec autant de brio.
Arrivant en fin de programme, on se demande si, en comparaison, Michael Rakotoarivony fera le poids dans les Chansons villageoises. De fait, la première mélodie donne une impression de relative timidité, mais Poulenc ne précisait-il pas lui-même que, pour ce recueil, il ne fallait surtout pas en rajouter dans le côté gouailleur ? Et la suite montre que le baryton malgache a des moyens, de la ressource, qu’il est tout à fait capable de faire vivre les textes qu’il chante, et qu’il rejoindra peut-être son compatriote Sahy Ratia qui brillait récemment dans une Dame blanche rennaise (sans parler de Blaise Rantoanina, actuellement en troupe à Trêves, mais qui pourrait faire parler de lui s’il revient un jour se produire en France). Don Quichotte à Dulcinée conclut fort joliment ce disque, même si l’interprète est encore un peu jeune pour se glisser dans la peau du vieillard amoureux.