VANITAS - Lieder de Franz Schubert, Ludwig van Beethoven, Wolfgang Rihm
Georg Nigl, baryton
Olga Pashchenko, pianoforte (Schubert, Beethoven), piano (Rihm)
Franz Schubert (1797-1828)
Im Freien, D880
Die Sommernacht, D289
Die Taubenpost, D965A
Die Forelle, D550
Der Wanderer an den Mond, D870
Das Zügenglöcklein, D871
Abendstern, D806
Fischerweise, D881
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
An die Ferne Geliebte, op.98
Wolfgang Rihm (1952)
Vermischter Traum
Franz Schubert (1797-1828)
Der Winterabend, D938
Die Sterne, D939
An die Musik, D547
Wandrers Nachtlied, D768
Erlafsee, D586 (piste bonus)
Abschied, D475 (piste bonus)
1 CD Alpha, 82’31’’ (2021)
Et si ce récital enregistré début 2020 était l’un des grands disques de l’année Beethoven tout juste écoulée ? Certes, An die Ferne Geliebte occupe à peine vingt pour cent de son généreux minutage, mais c’est dans ce quart d’heure de musique que le génie interprétatif de Georg Nigl et de sa partenaire Olga Paschchenko donne, selon nous, toute sa mesure. Mais commençons par le commencement… et au commencement était le Verbe. Ce verbe auquel, dans sa note d’intention, le baryton allemand, star incontestée du répertoire opératique contemporain (Neuwirth, Furrer, Rihm et Dusapin), déclare vouloir rendre pleinement justice en proposant de nous le faire entendre en toute intimité. L’idée est de renouer avec ces « soirées de mélodies » (Liederabend) auxquelles un Schubert ou un Beethoven destinaient leurs compositions vocales. Loin des grandes salles de concert, Nighl veut partager « un chant intérieur, pour soi-même », « comme si la voix trottinait légèrement sur l’horizon », et ce défi est parfaitement relevé.
Il est assez fascinant de voir un chanteur familier de rôles aussi paroxystiques que Wozzeck, Jakob Lenz (dans l’opéra éponyme de Rihm) ou Achille (dans le Penthesilea de Dusapin) se couler avec autant d’aisance dans la peau d’un Liedsanger dont chaque inflexion, chaque souffle, chaque articulation vient se loger au creux de l’oreille avec une fraternelle proximité. Peu importe, dès lors, que le timbre n’ait pas la richesse de couleurs d’un Thomas Quasthoff ou d’un Fischer-Dieskau ; Nigl se situe, avec ce récital, aux côtés des grands « diseurs » du Lied romantique que sont Christian Gerhaher ou Dietrisch Henschel. Les états d’âme du vagabond schubertien ou de l’amant esseulé beethovénien ont rarement été partagés sur ce ton bouleversant de confidence. Olga Pashchenko, au clavier d’une copie de pianoforte de 1819, constitue la partenaire idéale de cet exercice, et fait merveille aussi bien dans les ritournelles faussement simplistes du bouquet de lieder de Schubert que dans les mini-interludes liant chaque mélodie de la Bien-aimée lointaine. Les derniers vers du cycle résument parfaitement l’art poétique du duo : « Que tu chantes ce que moi-même / Du fond de mon cœur j’ai chanté / Sans artifices ni apprêts / Par mon seul désir inspiré ».
Vermischter Traum (« Songe mêlé », 2017), le cycle de mélodies de Wolfgang Rihm, est le seul à justifier réellement le titre de l’album. Les textes du poète baroque Andreas Gryphius (1616-1664), magnifiquement traduits par Michel Chasteau, reprennent en effet tous les motifs de la vanité, méditation sur l’intranquillité de l’existence, l’impermanence des choses et la fuite inexorable du temps. Trois mélodies au tempo lent et une dernière notée appassionato, interrompues par un refrain programmatique en guise de carpe diem (« Der Augenblick ist mein » / Seul l’instant est à moi), donnent à Nigl l’occasion de renouer avec une musique plus expressionniste, à l’ambitus large, où alternent le chuchotement inquiet, le cri de révolte et le parlando résigné. Le Steinway de Pashchenko seconde avec puissance ces incantations, composées par Rihm au sortir d’une longue maladie.
Ne vous laissez pas intimider par l’austère photo (signée Pascal Dusapin) qui orne sa pochette : ce disque subtil et fascinant offre ni plus ni moins qu’une jouissive leçon de chant.