Ce disque Verdi de Ludovic Tézier, nous l’attendions depuis longtemps. Il arrive à un moment où la voix de l’artiste semble à son zénith. On aura ainsi pu le comparer aux gloires passées du chant verdien et se dire que, finalement, c’est une chance immense que le baryton français soit un chanteur d’aujourd’hui.
Une heure et vingt-deux minutes de bonheur, voilà ce que l’auditeur pourra vivre à l’écoute de ce disque. Fermez votre porte à clef, sortez votre plus grand cru (italien si possible) et installez-vous confortablement, vous allez entendre ce que chanter Verdi veut dire.
Il y a d’abord cette voix. Mâle, noire et lumineuse, puissante, à laquelle rien ne semble pouvoir résister. L’homogénéité et la fusion des registres sont stupéfiantes d’apparente facilité, la science du legato, jamais prise en défaut, est portée par un souffle infini et les aigus sont d’une aisance telle qu’on remercie le confort du studio d’offrir les conditions idéales au chanteur pour déployer tant de talents. Pour qui a dans l’oreille les Bastianini, Cappucilli et autre Bruson de temps révolus, on se plaît à entendre ici ou là la richesse de timbre du premier, l’implication dramatique du second ou la concentration du son du dernier. On compare, on aimerait trouver à redire (vanité du critique oblige…) mais la conclusion s’impose d’elle-même : Ludovic Tézier réunit en une seule voix le meilleur de toutes les autres. Le baryton verdien de notre temps, c’est lui ! Et, on se plaît ainsi à imaginer ce que le maître de Busetto aurait eu de plaisir à écrire pour un tel chanteur.
Chanter Verdi, c’est aussi maîtriser toute une palette de sentiments. Et c’est là qu’il faut remercier notre baryton d’avoir laissé l’homme vivre avant que d’enregistrer ce kaléidoscope d’expressions de la nature humaine. Le père, l’amant, l’ami, le rival, le chef, ils sont tous là. La caractérisation théâtrale est totale et s’il fallait en juger sur un seul air, nous garderions celui de Rigoletto, Quel choc! Totalement investi, notre artiste ose, dès le récit initial, pousser sa voix dans ses retranchements, quitte à se bousculer un peu… ainsi que l’orchestre par la même occasion.
De l’Orchestre du Théâtre Communal de Bologne et de la direction, de Frédéric Chaslin, parlons-en. Si nous aimerions parfois plus de nuances et d’emphase dans la conduite du phrasé, on sent que Verdi coule dans les veines des musiciens. Le chef d’orchestre galvanise l’ensemble avec talent lors de prises d’enregistrement qu’on devine d’un seul souffle. Un choix artistique bien loin des multiples coupures et montages entendus parfois et qui ne sont pas sans rappeler l’élan et l’investissement artistique d’un autre magnifique album, également paru chez Sony classical, celui de Renata Scotto (Italian opera Arias, à posséder absolument).
Saluons également une magnifique prise de son sous les micros de Jakob Händel. Rarement le squillo d’une voix aura été rendu avec autant de réalisme. Chipotons seulement sur l’étrange réverbération de la fin de l’air de Germont dans La Traviata et sourions de cette respiration éloquente (du chef ?), juste après « C’est moi, Carlos… » dans l’air de Posa. Avouons d’ailleurs que c’est dans ce seul air en français que nous avons connu notre seule (et infime) déception. C’est évidemment un plaisir immense que d’avoir sur un même disque la version française et la version italienne du même air. Tout en admirant cette leçon de diction où « é » n’est pas un « è », nous attendions un peu plus d’intériorité et de douceur, moins de théâtralité peut-être, que dans la version italienne.
Pour se faire pardonner, ne reste donc plus à Ludovic Tézier qu’a nous offrir au plus vite un disque d’airs d’opéra en français. On croit savoir qu’il n’a rien contre. Il aura fallu plus de 3 ans entre la naissance de ce projet Verdi et sa réalisation. Devant cette réussite incontestable, espérons que les portes des studios s’ouvriront à nouveau rapidement pour offrir, à celui que les scènes du monde entier s’arrachent, une carrière discographique à la mesure de son immense talent.
Ludovic Tézier baryton
Paolo Antognetti ténor
Orchestra del Teatro Comunale di Bologna, dir. Frédéric Chaslin
Airs de Verdi
La forza del destino, Act III, Scène 2 : « Morir! Tremenda cosa »
Don Carlos, Act IV, Scène 2 : « Carlos, écoute »
Ernani, Act III, Scène 2 : « Gran Dio! Costor sui sepolcrali marmi »
Ernani, Act II, Scène 10 : « Vieni meco, sol di rose »
Falstaff, Act II, Scène 1 : « È sogno? O realtà? »
Il trovatore, Act II, Scène 2 : « Tutto è deserto »
La traviata, Act II, Scène 1 : « Di Provenza il mar, il suol »
Macbeth, Act IV, Scène 5 : « Perfidi! All’anglo contro me v’unite! … Pietà, rispetto, amore »
Nabucco, Act IV, Scène 1 : « Dio di Giuda ! »
Otello, Act II, Scène 2 : « Credo in un Dio crudel »
Rigoletto, Act II, Scène 2 : « Cortigiani, vil razza dannata »
Un ballo in maschera, Act I, Scène 1 : « Alla vita che t’arride »
Un ballo in maschera, Act III, Scène 1 : « Alzati! Là tuo figlio … Eri tu che macciavi quell’anima »
Don Carlo, Act IV, Scène 2 : « O Carlo, ascolta »
1 CD Sony Classical, février 21
2 commentaires
Une voix pleine et ronde, puissante mais aérienne dans les aigus. Bartihon ou basse. Il est un chanteur authentique d’opéra.
Un immense MERCI pour cet article ! Que c’est agréable de ressentir exactement une -grande- émotion lyrique à l’unisson!!! Et avec « notre » Ludovic, c’est bien le cas. Si la notion de « passeur » a un sens en Art Lyrique, c’est bien le « chant retrouvé » de Ludovic TEZIER qui, aujourd’hui – comme hier, pour les illustres barytons que vous évoquez- en traduit toute la noblesse et la modestie. Oui, à coup sûr, Peppino en entendant Ludo se serait sans doute écrié qu’entre Maurel et Tézier, ces coquins de marseillais l’avaient sacrément bien servi !!!