CD – ECHOES OF THE GRAND CANAL – Music from Tiepolo’ Venice
Pour célébrer le 250ème anniversaire de la mort de Tiepolo (1696-1770), la Staatsgalerie de Stuttgart a consacré au peintre vénitien une grande exposition à l’occasion de laquelle l’Ensemble Diderot a gravé un programme destiné à offrir un contrepoint musical aux peintures présentées. Les pages enregistrées (qu’on pouvait entendre dans l’audioguide de l’exposition) sont ici regroupées dans un album permettant d’entendre la musique qui était jouée du vivant du peintre : il s’agit de pages de Platti, Gajarek et Hasse, qui furent ses exacts contemporains, et de Vivaldi, son aîné de 18 ans. Il est toujours hasardeux de tenter un rapprochement entre deux arts aussi différents que le sont la peinture et la musique ; pourtant, force est de constater qu’entre le pinceau la fois ferme et gracieux de Tiepolo, sa riche palette, la virtuosité s’exprimant notamment dans ses célèbres trompe-l’œil, et la musique à la fois virtuose et chaleureusement expressive que ce CD fait entendre, les points de rencontre sont nombreux…
Le programme fait agréablement alterner pièces instrumentales et pièces vocales, et présente deux raretés absolues, qui ont toutes deux pour la première fois les honneurs du disque : le Concerto pour clavecin en fa majeur de Giovanni Benedetto Platti, et la cantate Armida disperata de Sigismund Martin Gajarek, un compositeur né en Dalmatie vers 1689 et mort prématurément en 1723, ayant effectué un voyage d’études à Venise, au cours duquel il composa cette cantate (en 1721).
On retrouve avec beaucoup plaisir l’Ensemble Diderot (dirigé par Johannes Pramsohler) et toutes les qualités qui le caractérisent : une adéquation stylistique qui n’est jamais synonyme de rigueur ni de « prêt à interpréter », mais laisse au contraire pleinement s’épanouir l’imagination, la ferveur, la créativité. Le clavecin de Philippe Grisvard fait preuve, dans le concerto de Platti, d’une fluidité, d’une légèreté et d’un enthousiasme admirables dans l’Allegro initial et le Presto final, et se montre tout aussi à l’aise dans l’Adagio central, à la mélodie plaintive et touchante. Le violon de Johannes Pramsohler est, comme toujours, d’une virtuosité constamment expressive ; il réussit parfaitement le difficile unisson avec le violon de Roldán Bernabé dans l’Adagio de la Sonate en trio en do majeur de Vivaldi, et dialogue superbement avec le violoncelle de Gulrim Choï dans la Sonate pour violon, violoncelle et basse continue en sol mineur de Platti.
Enfin, l’album permet d’entendre une talentueuse mezzo en la personne de Diana Haller qui, si l’état sanitaire du pays le permet, devrait chanter Ruggiero dans Alcina à l’Opéra du Rhin en mai/juin prochains (mais aussi le rôle-titre de Jules César au festival de Savonlinna en juillet). La chanteuse a pour elle un timbre très personnel, aux couleurs un peu métalliques, qui semblerait a priori convenir parfaitement aux rôles travestis ou aux scènes de fureur ; son legato soigné et sa science des nuances lui permettentcependant de rendre également justice aux pages plus apaisées, tel le « Coelesti incendio » du motet de Hasse. Mais elle se distingue surtout par une technique très maîtrisée lui permettant de venir à bout de la virtuosité ébouriffante requise pour la cantate d’Armida de Gajarek ou le « In furore iustissimae irae » de Vivaldi.
À l’originalité du programme et à la qualité de l’interprétation s’ajoute, comme toujours chez Audax, le soin extrême accordé à l’album en tant qu’objet : papier de qualité, photos en couleurs, textes de présentation soignés, traduction des textes en 3 langues dont le français (un luxe dont se privent de plus en plus les plus grandes firmes) : autant de bonnes raisons de se procurer ce CD !
Johannes Pramsohler violon
Philippe Grisvard clavecin
Diana Haller mezzo soprano
Ensemble Diderot, dir. Johannes Pramsohler
Giovanni Benedetto PLATTI
Concerto pour clavecin en fa majeur
Sonate en trio en sol mineur
Sigismund Martin GAJAREK
Armida disperata
Antonio VIVALDI
Sonate en trio en do majeur
« In furore iustissimae irae »
Johann Adolph HASSE
« Alta nubes illustrata »
1 CD Audax 2019 (78:12′)