Paris vagabond, Fabien Hyon, Juliette Sabbah (Kosma, Poulenc,...)
Le jeune ténor Fabien Hyon et la pianiste Juliette Sabbah, partenaires de scène depuis 2018, font paraître un CD intitulé Paris vagabond qui se présente comme une invitation à une promenade musicale dans les rues de Paris, avec comme arrière-plan sonore des pages de Poulenc et Kosma (mais aussi, dans une moindre mesure, de Hahn, Roussel ou Déodat de Séverac) et des poèmes signés Verlaine, Prévert, Éluard, Collin ou Apollinaire.
Ce qui frappe avant tout dans cet album, c’est l’intelligence avec laquelle le programme a été conçu : le CD s’ouvre sur la Chanson de la Seine qui revêt une valeur quasi programmatique, l’auditeur étant invité à traverser Paris en suivant les méandres et le rythme lent et nonchalant du fleuve. Viennent ensuite plusieurs pièces consacrées à l’enfance, évoquée à travers la figure du Cancre (Kosma/Prévert), la tentation que suscitent les marrons chauds d’un marchand ambulant (Hahn/Collin), ou encore la Chasse à l’enfant (Kosma/Prévert) à laquelle se livre une foule déchaînée contre un jeune s’étant échappé d’une maison de redressement. Puis viennent les premiers baisers avec Les enfants qui s’aiment ou Jardin (Kosma/Prévert), et enfin les tribulations d’un jeune adulte vagabond dans les rues de la capitale, spectateur amusé de saynètes tendres, amusantes, mais qui n’excluent nullement l’émotion, laquelle surgit de façon discrète mais récurrente, par exemple avec la À la belle étoile de Kosma à la mélancolie à la fois si douce et prégnante.
C’est même sur une touche de mélancolie noire que le CD se refermerait (avec le désabusé Le ciel est par-dessus le toit (dans la version composée non par Fauré mais par Déodat de Séverac) et Les oiseaux du souci de Prévert et Kosma), si les artistes ne prenaient idéalement congé de l’auditeur avec une dernière chanson des mêmes auteurs, (un peu) plus souriante : Compagnons des mauvais jours. Le déplacement spatial à travers Paris se double donc d’un cheminement temporel, et l’on a l’impression de vivre le parcours d’un titi parisien au sortir de l’enfance, confronté à ses premiers émois amoureux mais aussi à la découverte de la dure réalité qu’offrent certains tableaux de la vie parisienne, à commencer par la pauvreté et la faim (la Grasse matinée et le terrible « petit bruit de l’œuf dur cassé sur un comptoir d’étain » pour l’homme qui a faim…) Bref, le programme est très subtilement agencé et offre une succession de tableaux pittoresques (certains sont des instantanés dépassant à peine la minute, tel le Jardin saisissant au vol un baiser furtivement échangé parc Montsouris), touchants et toujours éminemment poétiques.
Marianne Oswald, Yves Montand, Juliette Gréco ont, entre autres, interprété plusieurs de ces chansons de Kosma. Le risque, en étant interprétées par un chanteur de formation classique, serait qu’elles perdent en spontanéité, voire en gouaille pour certaines d’entre elles. Mais c’est un risque très habilement évité par Fabien Hyon qui, sans jamais forcer ses moyens et en allégeant un timbre naturellement très clair, garde intacte toute la fraîcheur de ces pages. La ligne de chant est bien sûr très soignée et joliment nuancée – avec par exemple, ici ou là, de beaux effets de voix mixte ou de chant piano (comme dans le tendre « Au-dessus de l’île on voit des oiseaux » de la Chasse à l’enfant) ; mais le ténor prend soin de ne jamais faire « opéra » et garde un naturel très appréciable dans la projection et l’articulation, les poèmes restant constamment compréhensibles). Au total, c’est un double effet qui s’opère : les chansons de Kosma, sans pour autant devenir guindées ou sophistiquées, acquièrent une tenue, un chic qui les rapprochent de la mélodie, tandis que les mélodies de facture plus savante de Poulenc, Roussel ou Déodat de Séverac se teintent de la fraîcheur et du naturel propres à la chanson. Souple et délié lorsqu’il s’agit d’évoquer la Seine, haletant dans une Chasse à l’enfant qui s’apparente à un véritable hallali, (faussement) nonchalant lorsqu’il s’agit d’évoquer le temps suspendu de Hôtel de Poulenc et Apollinaire, le piano de Juliette Sabbah est d’un grand raffinement et témoigne d’une complicité de tous les instants avec le chanteur.
Un CD qui se découvre à la fois comme la séduisante carte de visite d’un couple d’artistes attachants, un vagabondage pittoresque dans le Paris de la première moitié du XXe siècle, et un itinéraire musical mettant au jour les affinités secrètes entre la chanson et la mélodie françaises.
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Téléchargez les textes des mélodies ici !
Fabien Hyon, ténor
Juliette Sabbah, piano
Paris vagabond
Chansons et mélodies de Kosma, Hahn, Roussel, Poulenc, Déodat de Séverac.
1 CD Passavant Music, avril 2021 (enregistré du 15 au 19 septembre 2020)