CD – Al Basma, comme un baume
Il se dégage de cet enregistrement une atmosphère mêlant tour à tour la joie, le recueillement, la poésie et la méditation. Il y a tant de façons de l’écouter et de le savourer. Car s’il agit comme un baume pour l’auditeur en ces temps particulièrement troublés, il a dû en être autant pour les interprètes.
En ces temps de pandémie, frustrés de concerts, de public, d’échanges, ils ont en effet choisi d’ouvrir large les horizons sonores, de casser les catégories musicales. Ils ne sont bien sûr pas les premiers à hanter les horizons chimériques des musiques arabo andalouses. Ils marchent sur les brisées que sillonnent Hesperion XXI et Jordi Savall depuis près d’un demi-siècle [1] comme de la série enregistrée il y a une grande vingtaine d’années avec l’Ensemble Ibn Baya, Omar Metioui et Gregorio Paniaga [2], sans oublier les beaux programmes que nous proposaient, il y a quinze ans passés, la percussionniste Michèle Claude et ses complices de l’Ensemble Aromates [3]. Il faut dire que ce genre de répertoire est familier aux musiciens de Canticum Novum, créé par Emmanuel Bardon, qui, il y a dix années, nous proposaient le premier de ses quatre disques chez le même éditeur, « Paz, salam, shalom ».
https://www.youtube.com/watch?v=6ofpzhErkiU
Il n’est pas anecdotique de signaler que ce programme reliant les deux rives de la Méditerranée fut enregistré en septembre 2020 à l’Abbaye de Sylvanes. Soit entre deux confinements. On imagine la joie de se retrouver pour ces musiciens, d’autant plus vive qu’il s’agit d’un choix de programme qui fait particulièrement sens.
On y parle d’amour et de foi, de Marie, de Saint-Jacques et d’une gazelle ensorceleuse. On y alterne mélopées arabes et Cantigas de Santa Maria, compositions plus ou moins savantes ; le Codex Calixtinus côtoie Martin Codax. On y chante en arabe, catalan, galicien, castillan, latin ou français ancien, reflet d’un monde polyculturel. Le polyglote Alphonse X le Sage et ses Cantigas de Santa Maria sont donc logiquement bien présents : le souverain choisit de les composer dans un dialecte valencien héritier du galaïco-portugais.
Flûtes et kanun se succèdent. Les percussions, le oud, les cordes frottées accompagnent des voix qui semblent parfois venues d’ailleurs par leur mélismes troublants (Per fazer romaria) comme par leur incantation lancinantes (Ya racha fattan). La belle et spacieuse prise de son met parfaitement en valeur la suavité qui se dégage de ce programme. C’est donc un « jeune » ensemble qui fête ainsi ses vingt cinq années : Canticum Novum, toujours mené de la voix par Emmanuel Bardon, immergée dans un ensemble de musiciens à l’unisson.
Al Basma nous redit le partage, le mélange, la tolérance. En ces temps de confinement qui risqueraient d’amener à un repliement sur soi, en ces temps où la Méditerranée connait des afflux de réfugiés sans cesse repoussés, en ce moment où l’Espagne renoue avec de terribles démons d’exclusion, où l’Europe chercherait on ne sait trop quelle « identité », voilà bien un disque qui ouvre l’horizon et met du baume à l’âme.
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[1] C’est le cas de « Musiques de l’Espagne chrétienne et juive, 1450-1550 » (1976-1991), de « Diaspora Sefarade » (1999), de « Mare Nostrum » (2010), Tant de leurs enregistrements sont à retrouver chez Alia Vox, la maison de disque de Savall.
[2] Plusieurs CD avaient été édités chez Sony entre 1995 et 1998 autour des musiques arabo-andalouses, via le oud, la nouba ou un rituel soufi-andalous.
[3] Deux CD parus chez Alpha : Amant de mon âme en 2003, avec Meirav Ben David-Harel, et Jardin des myrtes en 2005.
Canticum Novum
Emmanuel Bardon, direction musicale
Al Basma
1 CD Ambronay Éditions (parution le 28 mai 2021)