CD – MICHAEL SPYRES, BARITENOR
Michael Spyres, baryténor
Sangbae Choï, ténor
Nicolas Kuhn, ténor
Fabien Gaschy, baryton
Mario Montalbanno, ténor
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Chœur de l’Opéra national du Rhin, dir. Marko Letonja
MOZART
Idomeneo, K. 366, Acte II: « Fuor del mar »
Le nozze di Figaro, K. 492, Acte III: « Hai gia vinto la causa? »
Don Giovanni, K. 527, Acte II: « Deh, vieni al la finestra »
MEHUL
Ariodant, « Oh, Dieux! Ecoutez ma prière »
SPONTINI
La Vestale, « Qu’ai-je vu! Quels apprêts »
ROSSINI
Il Barbiere di Siviglia, « Largo al factotum »
Otello, « Ah si, per voi già sento »
ADAM
Le Postillon de Lonjumeau, « Mes amis, écoutez l’histoire »
DONIZETTI
La fille du régiment, « Ah! Mes amis, quel jour de fête! »
VERDI
Il trovatore, « Tutto è deserto » – « Il balen del suo sorriso »
THOMAS
Hamlet, « C’est en croyant revoir » – « Oh, vin ! Dissipe la tristesse »
OFFENBACH
Les Contes d’Hoffmann, « Va! pour Kleinzach »
WAGNER
Lohengrin, « Aux bords lointains »
LEONCAVALLO
Pagliacci, « Si può? Signore ! Signori ! »
LEHAR
Die lustige Witwe, « O Vaterland du machst bei Tag » – « Da geh ich zu Maxim »
RAVEL
L’heure espagnole, « Voilà, ce que j’appelle une femme charmante »
ORFF
Carmina Burana, “Dies nox et omnia »
KORNGOLD
Die tote Stadt, « Glück, das mir verblieb »
1 CD Warner Classics/Erato, septembre 2021
Enregistré les 25-29 août et 14-15 septembre 2020
Durée 84’30’’
Le baryténor est à la mode, et ils sont plusieurs aujourd’hui à se revendiquer comme tels, Michael Sypres et Sergey Ramanovsky notamment. Mais de quoi, de qui s’agit-il exactement ? La plaquette du CD (écrite par Michael Spyres lui-même), pour intéressante qu’elle soit, ne contribue que partiellement à éclairer les choses… Quand le terme est-il apparu ? Était-il utilisé par les compositeurs eux-mêmes ? Lesquels ? Les célèbres ténors qui, tel Adolphe Nourrit, interprétaient également parfois des rôles de barytons, notamment au XIXe siècle, transposaient-ils les rôles ? ou du moins certains passages ? Pour ajouter à la confusion, Spyres classe Mécène Marié de l’Isle, le créateur de Tonio dans La Fille du Régiment, dans la catégorie de baryténor. Mais si ce chanteur interpréta des rôles de baryton, ce ne fut jamais en même temps que des rôles de ténor : après avoir traversé une crise vocale qui le priva de ses aigus, Marié de l’Isle se reconvertit en baryton, ce qui est tout fait différent… De même, classer Hoffmann dans la catégorie des baryténors au motif qu’Offenbach avait d’abord songé à un baryton pour le rôle-titre n’est guère pertinent : si Offenbach dut renoncer au baryton Bouhy qu’il souhaitait voir interpréter Hoffmann, c’est parce que Léon Carvalho, alors directeur de l’Opéra-Comique, voulut imposer le jeune ténor Jean-Alexandre Talazac : Offenbach réécrivit alors entièrement le rôle d’Hoffmann pour… un ténor !
Une classification aurait donc été la bienvenue : les baryténors au sens propre du terme (?), c’est-à-dire les chanteurs, rares (tels les rossiniens Andrea Nozzari ou Manuel García autrefois, ou Michael Spyres lui-même aujourd’hui) dont l’ambitus vocal est exceptionnellement étendu ; les emplois de baryténors c’est-à-dire les rôles sollicitant une tessiture hybride (l’Otello de Rossini, par exemple), incluant les aigus du ténor et les graves du baryton ; et les chanteurs ayant été barytons puis ténors, ou ténors puis barytons, mais sans avoir pratiqué ces deux tessitures dans le même temps. Pour embrouiller un peu plus les choses, l’air d’Hamlet est indiqué comme ressortissant à la tessiture de baryton, alors que c’est bel et bien la transcription opérée par Thomas lui-même pour voix de ténor qui est interprétée… Peut-être aurait-il été judicieux de proposer un CD uniquement consacré aux emplois de baryténors (les rôles de Nozzari par exemple) ? Quoi qu’il en soit, ce brassage des définitions et des catégories entraîne au final un programme pour le moins hétéroclite, et il faut, pour apprécier ce CD, accepter d’entendre le chanteur vanter les charmes de Lolo, Dodo, Joujou, Cloclo et Froufrou (La Veuve Joyeuse) après avoir célébré les mystères du Saint Graal (Lohengrin) !
Mais a contrario, on peut estimer que l’hétérogénéité du programme permet d’apprécier l’incroyable versatilité du chanteur, du chef et de l’orchestre : on ne peut en effet qu’admirer l’aisance stupéfiante avec laquelle tous s’adaptent aux styles les plus variés, de l’opérette viennoise au bel canto, du romantisme allemand au classicisme français, du vérisme italien aux œuvres du XXe siècle. Il y a bien quelques (très) menues déceptions ici ou là : curieusement, alors qu’on s’attendait à des miracles de raffinement dans les registres lyriques ou suaves du rêve halluciné d’Hoffmann (« Ah, sa figure était charmante… ») ou dans la scène 3 du troisième acte de Lohengrin (chantée ici dans sa version française), le chant peine à s’élever au-dessus d’un certain terre-à-terre et à se faire pure poésie ; la virtuosité, maîtrisée, est moins bluffante que dans le gosier de tel ou tel autre confrère ; certains aigus (ceux de La Fille du régiment) semblent légèrement moins faciles qu’il n’y a guère… En revanche, les qualités qui ont assuré et assurent toujours le succès de Michael Spyres sont bien là, à commencer par une clarté de la diction exceptionnelle, qui nous vaut un français chanté vraiment remarquable (à quelques voyelles près, un peu trop fermées : le [ɛ] « plaise », le [ɔ] de « arroge »…) ; une émission d’une facilité et d’un naturel confondants ; une homogénéité de la pâte vocale sur toute la tessiture, avec des graves chauds et sonores ; un usage très élégant de la voix mixte. S’ajoute un cela un souci très louable de caractériser pleinement les personnages, même dans ce florilège d’extraits encore une fois très disparates. La « Largo al factotum » de Figaro est à ce titre absolument jubilatoire !
Signalons pour finir la présence sur ce CD de vraies raretés : outre la version française de Lohengrin déjà signalée, Spyres chante également l’air du Comte des Noces de Figaro dans l’adaptation qu’en fit Mozart pour la reprise viennoise de 1789/1791, laquelle comporte plusieurs extrapolations vers l’aigu, ainsi que la très belle scène d’Edgard dans l’Ariodant de Méhul (« Ô Dieux ! écoutez ma prière »), une première absolue au disque.
Pour prolonger cette lecture, voyez le compte rendu signé Romaric Hubert du concert que Michael Spyres donna tout récemment Salle Gaveau !