Séguedilles, le nouveau récital de Marianne Crebassa – Je chante pour moi-même ?
Marianne Crebassa, mezzo-soprano
Adriana Gonzalez, soprano
Céline Laborie, soprano
Victoire Bunel, mezzo-soprano
Stanislas de Barbeyrac, ténor
Alphonse Cemin, piano
Thibaut Garcia, guitare
Orchestre national et chœur du Capitole de Toulouse, dir. Ben Glassberg
BIZET
Carmen
DE FALLA
La vida breve, « Séguedille » (Trois mélodies)
MASSENET
Don Quichotte, « Nuit d’Espagne »
GURIDI BIDAOLA
6 canciones catellanas
SAINT-SAËNS
El Desdichado
MOMPOU
El Combat del somni
RAVEL
« Chanson espagnole », L’Heure espagnole
OFFENBACH
La Périchole
1CD Erato (n°9029667689), 22 octobre 2021 (73:28′)
Séguedilles, chez Erato, marque le retour au disque de la mezzo Marianne Crebassa, avec Carmen comme référence évidente pour cette joyeuse espagnolade, même si tout ce qui relève de l’opéra n’est pas forcément le plus réussi.
Espagne froide à l’opéra
Après Oh Boy, disque d’airs d’opéra enregistré avec Marc Minkowski en octobre 2016, et Secrets, disque de mélodies françaises enregistré avec Fazil Say en octobre 2017, Marianne Crebassa avait un peu disparu des radars côté disques. Pendant ce temps, la carrière de la mezzo-soprano française a pris un bel envol, et d’ici la fin de la saison, elle aura été notamment Dorabella à Salzbourg et à Berlin, Rosine à Vienne et à Paris, Cenerentola à Munich, Romeo de Bellini à la Scala, une Giovanna Seymour en concert au TCE. Autrement dit, en ce qui concerne les engagements sur les scènes lyriques, tout va bien, merci, et il est peut-être déjà temps d’envisager la prochaine étape, incontournable pour sa tessiture : l’heure de Carmen devrait bientôt sonner, et pour en persuader tout le monde, le disque Séguedilles a été enregistré en septembre 2020, avec tout le luxe souhaitable. L’orchestre et le chœur du Capitole de Toulouse, ici dirigé par Ben Glassberg, et une luxueuse brochette de solistes venant donner la réplique à la mezzo, Stanislas de Barbeyrac ou Adriana Gonzalez au chant, Alphonse Cemin au piano et Thibaut Garcia à la guitare. Sauf que cette Carmen par trop introvertie laisse l’auditeur sur sa faim, comme si elle n’avait personne à convaincre : « Je chante pour moi-même », dit l’héroïne de Bizet, mais c’est sans doute aller un peu trop dans ce sens. Loin de nous la pensée de réclamer une gitane roulant des hanches et aguichant à tout va, mais cette bohémienne-ci se montre, dans la habanera, d’une froideur qui désarçonne le mélomane. De même, lorsque Marianne Crebassa aborde la Dulcinée du Don Quichotte de Massenet, on cherche en vain l’infinie mélancolie qui doit habiter le personnage. La Périchole manque décidément de piquant, et Concepción de L’Heure espagnole n’est guère plus animée. C’est dommage, car la voix est belle, mais tous ces airs manquent de théâtre, peut-être faute de l’expérience d’avoir été ces héroïnes en scène.
Espagne ardente des mélodies
Curieusement, c’est dans l’autre partie du programme, consacrée à des mélodies, que Marianne Crebassa semble bien davantage s’épanouir. Dès qu’elle devient « narratrice » et n’a plus à incarner un personnage, tout s’anime, tout se met en place : si la « Nuit d’Espagne » de Massenet n’est pas très habitée, la « Chanson espagnole » de Ravel est beaucoup mieux défendue, et la « Séguedille » de Manuel de Falla, sur un poème de Théophile Gautier décrivant une manola, se révèle autrement plus démonstrative, plus investie que les airs d’opéra. Surtout, les sommets du disque sont les superbes mélodies du Catalan Federico Mompou (le cycle Combat del somni exécuté dans son intégralité), ou quatre des 6 canciones castellanas du beaucoup moins fréquenté Jesús Guridi. Disons alors tout simplement que ce disque vient trop tôt en ce qui concerne la partie opéra, et peut-être aurait-il été plus sage d’attendre que quelques productions aient permis à l’artiste de mieux se familiariser avec ces rôles qui lui conviendront sans doute fort bien dès lors qu’on lui aura laissé le temps de se les approprier.