Achante et Céphise – Le Rameau du confinement
Achante : Cyrille Dubois
Céphise : Sabine Devieilhe
Oroès : David Witczak
Zirphile : Judith Van Wanroij
Les Ambassadeurs – La Grande Écurie, dir. Alexis Kossenko
Les Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles
Achante et Céphise
Pastorale héroïque de Jean-Philippe Rameau, livret de Jean-François Marmontel, créée 19 novembre 1751 au Théâtre du palais-Riyal (Académie royale de musique)
2 CD Erato 65’41 + 64’44
Double actualité discographique pour Sabine Devieilhe en ce mois de novembre : deux jours après son disque Bach-Haendel, elle est l’héroïne d’Achante et Céphise, dont sort un superbe enregistrement réalisé contre vents et marées, même si le concert prévu fut deux fois déprogrammé.
Ensemble malgré tout
S’il y a bien une œuvre qui mériterait d’être qualifiée d’opéra du confinement, c’est Achante et Céphise : mi-mars 2020, alors que les amateurs de Rameau se réjouissaient de redécouvrir cette œuvre dont les reprises modernes se chiffraient au compte-gouttes et avaient eu lieu hors de France, le premier confinement vint empêcher le concert prévu au Théâtre des Champs-Élysées. Reprogrammé dès la saison suivante, mais à Tourcoing, Achante et Céphise fut également annulé en décembre 2020, mais put alors être enregistré, par bonheur. Mais si cette pastorale héroïque semble aussi faite pour le confinement, c’est parce que le couple d’amants qui lui donne son titre communique « en distantiel » ! Ce n’est pas grâce à Zoom, mais à Zirphile la fée que Céphise peut ressentir tout ce qu’éprouve Achante, et réciproquement, même lorsqu’ils sont loin l’un de l’autre (ni téléphone, ni ordinateur pour cela, mais deux bracelets télépathiques). Comme dans Zoroastre de deux ans antérieur, aux forces du bien qui permettent de surmonter l’impossibilité du présentiel s’opposent les forces maléfiques condamnées à l’échec : Oroès, génie du mal, est épris de Céphise et tente de la charmer, en vain. Comme on pouvait la craindre, la fée et le génie ont bien plus de consistance que les héros, singulièrement effacés et dépourvus d’airs marquants. Et surtout, l’orchestre – rutilants Ambassadeurs – La Grande Écurie dirigés d’une main ferme par Alexis Kossenko – est ici le protagoniste central, depuis une ouverture totalement extravagante censée évoquer le feu d’artifice et les coups de canon tirés pour célébrer la naissance du duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XV (oui, Achante et Céphise est une œuvre de circonstance comme Rameau en composa plusieurs), aux divertissements, avec leurs danses remarquables d’inventivité, en passant par ces pièces pour vents spécialement destinées aux clarinettistes et cornistes alors récemment arrivés à Paris.
Que tout forme des chants d’allégresse et d’amour
Paradoxalement, les deux têtes d’affiche se voient confinés à un rôle relativement secondaire. Bien tardivement, dans le divertissement final, un air plus virtuose leur est confié. Cyrille Dubois et Sabine Devieilhe sont tous deux charmants, irréprochables dans leurs nombreux duos, mais la partition n’est pas faite pour qu’ils se mettent en avant individuellement. Celui qui est propulsé sous le feu des projecteurs, c’est le méchant de l’histoire, incarné avec panache par David Witczak, que l’on a hâte de retrouver dans d’autres personnages aussi développés. Judith Van Wanroij confère à Zirphile ce mélange d’autorité et d’étrangeté qui convient à une figure magique. Autour de ce quatuor s’affairent les interprètes des divertissements : Jehanne Amzal, Marine Lafdal-Franc, Anne-Sophie Petit et Floriane Hasler se partagent avec talent les diverses bergères et prêtresses, mais on avoue avoir surtout été frappé par la prestation de leurs confrères le ténor Artavazd Sargsyan et le baryton Arnaud Richard, pleins d’éloquence et très mis en valeur par leurs interventions de coryphées, de bergers ou de chasseurs. Les Chantres du CMBV contribuent aussi, par leur engagement, à la réussite de ce bel enregistrement ramiste.