Didier Henry, baryton
Takénori Némoto, ensemble Musica Nigella
Poulenc, l’espiègle
Rapsodie nègre (1917)
Trois mouvements perpétuels (1918/1925)
Le Bestiaire ou Cortège d’Orphée (1919/1922)
Valse (extraite de l’Album des Six : 1919/1932)
Suite « Gendarme incompris » (1921)
Quatre poèmes de Max Jacob (1921)
Les Mariés de la Tour Eiffel (extraits : 1921) arr. Marius Constant
Le Bal masqué (1932)
Deux marches et un intermède (1937)
1CD Klarthe KLA129 (décembre 2021)
On connaît le chef Takénori Némoto comme roi de la transcription, lorsqu’il arrange pour son ensemble de chambre des œuvres pour piano, ou lorsqu’il reconstitue l’état premier de partitions dont on ne connaît plus que la version « élargie » pour grand orchestre. Rien de tel, cette fois, car le disque Poulenc l’espiègle réunit des œuvres conçues d’emblée pour des effectifs variés ou vite adaptés par le compositeur (seule véritable exception, l’arrangement par Marius Constant d’extraits des Mariés de la Tour Eiffel). C’est en effet autour du premier Poulenc qu’est construit le programme, de l’opus 1 d’un jeune homme de dix-huit ans, la Rapsodie nègre, autour d’un solide noyau de pièces conçues entre 1917 et 1921, jusqu’à la fameuse valse écrite en 1940 pour Yvonne Printemps, Les Chemins de l’amour. Au chapitre des mélodies, Apollinaire est déjà présent avec son Bestiaire – et il accompagnera Poulenc toute sa vie – mais celui qui domine est ici Max Jacob avec ses textes fantasques et grinçants, dans les Quatre poèmes de 1921 et surtout Le Bal masqué de 1932 destiné au cénacle de Marie-Laure de Noailles. Poulenc potache aussi, celui qui met en musique en 1917 les prétendus poèmes de Makoko Kangourou (publiés en 1910 et dus en réalité à Marcel Prouille et Jean-Joseph-Auguste Moulié), celui qui collabore avec Cocteau et Radiguet pour le délicieusement absurde – et désormais trop rarement donné – Gendarme incompris ou pour les susnommés Mariés de la Tour Eiffel où Louis Durey fait déjà défaut. Ensemble cohérent, donc, et dont on admet volontiers l’espièglerie.
La souplesse à géométrie variable de l’ensemble Musica Nigella nous permet aussi d’entendre la primesautière version des Mouvements perpétuels élaborée pour Poulenc en 1925 ; l’orchestration de 1932 de la valse pour piano extraite de L’Album des Six (1921), unique véritable œuvre collective de l’éphémère Groupe des Six ; les Quatre poèmes de Max Jacob tels que le compositeur les avait imaginés pour voix et ensemble instrumental, partition retrouvée seulement en 1993 dans les archives de Darius Milhaud. La réduction proposée en 1987 par Marius Constant dégraisse considérablement Les Mariés de la Tour Eiffel : si cela prive « Le discours du général » d’une partie de son ironie, « La baigneuse de Trouville » y gagne une belle énergie. Présent dans 17 des 35 plages du disque, Didier Henry possède bien le timbre de baryton pour laquelle la plupart de ces œuvres ont été écrites. Celui qui fut un grand Pelléas ne peut néanmoins toujours masquer le passage des années, et la voix sonne parfois tendue, blanchie dans l’aigu. Ce n’est heureusement pas un problème pour la grande majorité des compositions au programme, et l’interprétation ici enregistrée s’impose par des qualités de diction et d’expressivité, notamment dans Le Bal masqué dont Poulenc disait que « le final doit être ahurissant et presque terrifiant ».