Marco Agioloni ténor
Filippo Mineccia alto
Michele Mignone basse
Il Groviglio, dir. Stéphane Fuget
Extraits d’oeuvres de Händel, Vivaldi, A. Scarlatti, Caldara, Sarro.
1CD Pan Classics, février 2022
Les récitals consacrés à un chanteur ou une chanteuse du passé sont souvent intéressants et émouvants en ceci qu’ils redonnent vie non seulement à une figure du chant, mais aussi, sans doute, à une technique ou un style dont les seuls échos qui nous soient parvenus sont d’éventuels témoignages écrits glanés à la suite de concerts ou représentations d’opéras. Bien sûr, cette « résurrection » reste en grande partie sujette à caution, et l’on ne saura jamais quelles étaient véritablement les couleurs du timbre de tel chanteur, ou quelles étaient les caractéristiques précises de sa technique vocale. Mais enfin l’expérience, même lacunaire, reste riche d’enseignements et est forcément vectrice d’émotions dans l’illusion qu’elle donne de faire revivre les gloires du passé. Le présent enregistrement n’échappe pas à la règle : l’impression d’avoir côtoyé Annibale Fabbri (1696-1760) à l’issue du programme proposé est réelle, et permet de nous faire une idée d’un art qui devait se caractériser avant tout par une capacité à traduire vocalement les émotions les plus diverses, une technique hors pair permettant au ténor d’exécuter sans difficulté les vocalises les plus périlleuses, enfin un ambitus très large.
Autant de qualités dont fait montre Marco Angioloni : le jeune ténor affronte crânement les larges volutes de « La tiranna avversa sorte », aussi bien que la virtuosité ébouriffante de « La mia gloria ed il mio amore » (Arsilda, regina di Ponto de Vivaldi), de « Io pavento il tradimento » (Scarlatti, Telemaco) ou surtout de « Torrente cresciuto » (Händel, Porro, re dell’Indie). Les vocalises serrées de l’air de Berengario (Händel, Lotario) ou d’Osroa (Caldara, Adriano in Siria) sont par ailleurs portées par un souffle impressionnant, et le timbre garde une belle homogénéité sur l’ensemble de la tessiture, les deux extrêmes étant fréquemment sollicités (les graves en particulier, notamment dans le second air de Mentor dans le Telemaco de Scarlatti). Si la virtuosité est bien au-rendez-vous, la sensibilité ou la passion le sont également, avec la sollicitation d’un riche panel d’émotions, de l’amour (le duetto de L’incoronazione di Dario de Vivaldi) à la confiance tranquille (l’air d’Emilio dans Partenope de Händel), de la supplique (très beau « Cessa tiranno amore » du Dario de Vivaldi, avec violoncelle obligé) à l’introspection (premier air de Goffredo dans le Rinaldo de Händel), du ton martial (Lotario de Händel) à la totale sérénité (« Siamo prossimi al porto », Rinaldo).
Marco Angioloni est secondé, dans l’évocation de ces affects, par un Il Groviglio au mieux de sa forme, précis, coloré, capable de se montrer aussi bien incisif que tendre, langoureux, nuancé, comme dans la conclusion du très beau « Siamo prossimi al porto » de Rinaldo. Trois pages purement orchestrales permettent d’ailleurs d’apprécier tout le talent des instrumentistes, placés pour la circonstance sous la baguette sensible, dynamique, précise de Stéphane Fuget.
Ajoutons enfin que l’album a fait l’objet de soins très appréciables : outre le fait que le CD comporte huit pages enregistrées pour la première fois, notons que certains airs sont précédés de leurs récitatifs dans lesquels interviennent la basse Michele Mignone et le contre-ténor Filippo Mineccia, qui donne également la réplique à Marco Angioloni dans le duetto de L’incoronazione di Dario.
Autant de raisons d’effectuer cet émouvant voyage dans le temps, et dans l’art de celui qui fut, en un siècle surtout dominé par l’art des castrats, l’un des tout premiers ténors de son époque.