On connaît peu en France l’ensemble belge Revue Blanche, qui réunit un altiste, une harpiste, une flûtiste et une voix. Ladite voix, en revanche, est un peu moins ignorée, puisqu’il s’agit de la soprano Lore Binon, laquelle a enregistré, pour le label également belge Fuga Libera, deux disques assez remarquables : un récital de mélodies piquant la curiosité car il associait Debussy, Reynaldo Hahn et… George Crumb, et une intégrale d’Impressions de Pelléas, l’adaptation du chef-d’œuvre lyrique de Debussy réalisée en 1992 par Marius Constant à la demande de Peter Brook. Surtout, plus récemment, on a pu entendre Lore Binon dans le (petit) rôle de Mélisse, lors de la nouvelle production d’Atys donnée à Genève et à Versailles.
Comme son nom l’indique, l’ensemble en question s’intéresse beaucoup à la musique Fin-de-siècle, la Revue Blanche étant historiquement un périodique qui exista de 1889 à 1903, belge à l’origine, puis français, que l’on connaît aujourd’hui surtout grâce aux superbes affiches que conçurent Toulouse-Lautrec et Bonnard pour en assurer la publicité. La revue ayant été fondée à Liège par les frères Natanson, il était sans doute inévitable que l’ensemble Revue Blanche en vienne à s’intéresser à l’une des muses du symbolisme, Misia Godebska, épouse de Thadée Natanson. Excellente idée que de concevoir un programme autour de ce personnage fascinant (à qui le Musée d’Orsay avait consacré une belle exposition en 2012). Amie des peintres et des poètes, elle fut aussi celle des compositeurs, et il ne manque pas de partitions inspirées par elle. Encore fallait-il avoir l’idée de les exhumer, et ce qu’a fort bien fait l’ensemble Revue Blanche, non sans procéder à toute une série de transcriptions, aucune des pièces interprétées sur ce disque n’étant initialement destinée aux effectifs ici réunis.
Cela nous vaut un superbe programme où, à côté de la Sonatine de Ravel et des Trois Morceaux en forme de poire de Satie, on découvre les Six Madrigaux de Mallarmé de Louis Durey, quelques-unes des Douze Mélodies de Déodat de Séverac, les Six Poèmes de Paul Eluard de Georges Auric ou « L’Adieu à la vie » d’Alfredo Casella. L’amateur de raretés a donc amplement de quoi se régaler, les arrangements conférant souvent à ces pages un charme supplémentaire. Le seul petit hic vient de cette blancheur revendiquée par les interprètes, et surtout par la soprano, à moins que la prise de son y soit aussi pour quelque chose : si Misia fut en dernières noces l’épouse du peintre néo-baroque espagnol José Maria Sert, ce qu’on entend ici évoque parfois plutôt le Carré blanc sur fond blanc de Malévitch, car Lore Binon chante certes d’une très jolie voix, mais un peu plus de consonnes n’aurait pas été superflu ici et là, pour mieux saisir le texte de certains poèmes moins familiers. Misia n’en est pas moins un beau disque qui, contrairement à tant de galettes inutiles, a le courage de sortir des sentiers battus pour exhumer des trésors.
Misia. Revue Blanche : Lore Binon, soprano ; Caroline Peeters, flûte ; Kris Hellemans, alto ; Anouk Sturtewagen, harpe. 1 CD Antarctica Records, enregistré en septembre 2020 à Anvers.