Dualita
Emöke Barath, soprano
Ensemble Artaserse, dir. Philippe Jaroussky.
La Fransesina, le rossignol de Haendel
Sophie Junker, soprano
Le Concert de l’Hostel Dieu, dir. Franck Emmanuel Comte.
1/ « Dualita » – Airs d’opéra de Haendel par Emöke Barath, l’ensemble Artaserse, dirigés par Philippe Jaroussky. 1CD Erato, février 2022.
2/ « La Fransesina », le rossignol de Haendel – Airs de Haendel par Sophie Junker, le Concert de l’Hostel Dieu, dirigés par Franck Emmanuel Comte. 1CD Aparté, octobre 2020
La voix d’Emöke Baráth, son timbre chaud, parfois un peu sombre, impressionne toujours autant. Pourtant, c’est un sentiment parfois mitigé qui ressort de l’écoute de son dernier enregistrement. L’agilité, les vocalises, l’homogénéité du timbre ne sont pas en cause. Mais alors ?
Sur scène, Emöke Baráth brûle les planches. Ici, elle semble en retrait dans l’incarnation des héroïnes mises en miroir d’une dualité illustrée par la succession d’airs. Bien sûr, cela n’exclut pas la poésie de « Qual nave… », l’air de Radamisto, ni l’émotion réelle dans le « Se pietà » de Giulio Cesare. Le subtil « quel farfaletta… » de Partenope sonne plus précieux que rêveur, on aimerait plus de langueur, de soavità , ou de mystère dans l’« Ombra cara » de Radamisto.
Mais peut-être est-ce dû à l’accompagnement trop univoque, manquant de couleurs ou de rebond. Il manque ici le fruité d’un basson, là le soyeux de cordes, même si les musiciens eux-mêmes ne sont pas en question. Le chef n’est autre que Philippe Jaroussky, qui entame de fait une carrière de direction d’orchestre avec des lectures plus littérales que musicalement inspirées [1]. Le célèbre « Ombre pallide » d’Alcina en est l’expression avec un orchestre en manque de grâce. Il ne s’agirait sûrement pas de jouer la carte d’une originalité à tout prix, mais plutôt celle d’une attention à la variété des atmosphères et au grain de chacun des instruments au cœur d’un même air ; ce qui se retrouve dans le « Se pietà ».
Emöke Barath et Philippe Jaroussky se connaissent bien. Ce sont des complices depuis de longues années et un concert mémorable au Théâtre des Champs Elysées permettait, en octobre 2020, de les entendre chanter ensemble. Ici, l’enregistrement nous laisse sur notre faim.
C’est tout le contraire avec celui que signe Sophie Junker, placé sous le signe d’une des chanteuses fétiches de Haendel, une « petite française » à la sacrée personnalité, à l’éclectisme dans les incarnations musicales. Car Elisabeth Duparc fut, dès 1737, des années durant, la prima donna assoluta du compositeur, accompagnant le virage de l’opéra italien à l’oratorio anglais.
Ainsi, le programme de Sophie Junker, subtilement agencé, mêle ces deux formes avec de nombreuses raretés, à commencer par le premier air, extrait de Joseph and his Brethren, oratorio de 1743.
C’est immédiatement une joie pure qui nous emporte. Un feu d’artifice de très grande classe, un timbre d’une très grande fraicheur, des aigus qui fusent avec pureté, des vocalises qui enjôlent, se riant de tous les pièges et nous entrainant dans sa vocalità aux multiples facettes.
Et puis succède la tendresse d’un violoncelle qui dialogue avec Sophie Junker dans le sublime air de l’Ode à Sainte Cécile. L’investissement dramatique de tous les instants lui permet d’incarner chaque moment. L’air de Deidamia, « Va perfido !… », en est peut-être le point culminant. Elle a le fruité aguicheur de Semele dans le fameux air « Myself I shall adore », l’art de la déclamation dans « My father ! ah ! » tiré de l’Hercules, le sens de la déploration dans l’air de Saul.
L’accompagnement du Concert de l’Hostel Dieu se montre particulièrement en situation, dans les extraits instrumentaux comme la Sinfonia de Belshazzar ou l’ouverture de Semele. Les airs s’enchaînent, avec un savant agencement de couleurs, de tempos, d’atmosphères, passant de la méditation à la joie pure. La construction de ce récital contribue à en faire un pur enchantement, en dehors des sentiers battus.
« We shall stil be blessed » comme chante Sophie Junker.
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[1] Le récent Giulio Cesare que Jaroussky vient de diriger au TCE – avant de le reprendre en juin à Montpellier, n’a pas du tout donné cette impression à Mario Armellini, dont vous pouvez retrouver le compte-rendu ici .