Violetta Valéry : Lisette Oropesa
Annina : Menna Cazel
Flora Belvoix : Ilseyar Khayrullova
Alfredo Germont : René Barbera
Giorgio Germont : Lester Lynch
Gastone : Francesco Pittari
Le Baron Douphol : Allen Boxer
Le Marquis d’Obigny : Biagio Pizzuti
Le Docteur Grenvil : Alexander Köpeczi
Sächsischer Staatsopernchor Dresden, Dresdner Philharmonie, dir. Daniel Oren
La Traviata
Opéra en trois actes de Giuseppe Verdi, livret de Francesco Maria Piave d’après Dumas fils, créé le 6 mars 1853 à la Fenice de Venise.
2 CD Pentatone, (65:49 et 69:11), 2022
À l’heure où les firmes discographiques ont quasi renoncé à réaliser en studio des intégrales d’opéras[1] – notamment de l’époque romantique – voilà un CD que nous aurions adoré aimer. Il nous faut pourtant émettre quelques réserves devant ce coffret qui, sans être indigne, ne tient pas toutes ses promesses…
Pentatone a pourtant fait appel à l’un des chefs verdiens les plus expérimentés du moment : Daniel Oren connaît sa Traviata sur le bout de sa baguette, pour l’avoir dirigée notamment à Naples, Londres, Vérone… ou Dresde, dont il retrouve en cette occasion l’excellent Dresdner Philharmonie, ainsi qu’un Sächsischer Staatsopernchor Dresden impliqué mais qui pourrait encore gagner en homogénéité. Sa direction relève d’une belle tradition, sans que ce terme revête ici quoi que ce soit de péjoratif : le chef s’attache à respecter la partition (préservée dans son intégralité) sans chercher à lui imprimer sa patte ni à faire original coûte que coûte. Le choix des tempi est pertinent (encore que certaines pages accusent parfois un certain manque de dynamisme : le « Un di, felice » du premier acte, ou le « De’ miei bollenti spiriti »), les contrastes bien établis, les ambiances efficacement posées, même si le chef nous semble plus à son aise pour exprimer la mélancolie, le pathétique (très belle scène de la lettre à l’acte II, dont le tempo étiré traduit magnifiquement le caractère désespéré) ou l’épanchement lyrique (superbe « Amami, Alfredo ! ») que la tension dramatique (le « Ch’ei qui non mi sorprenda » de Violetta, toujours au deuxième acte, vraiment trop sage, ou encore la dispute avec Alfredo au second tableau du même acte, sans relief particulier).
Côté voix, il nous faut d’abord souligner le bon niveau des seconds rôles, avec notamment une Flora (Ilseyar Khayrullova) très présente, une Annina (Menna Cazel) au chant très assuré, un Grenvil noble et émouvant (Alexander Köpeczi). Reste le trio principal, qui peine à tirer son épingle du jeu et à s’imposer dans un paysage discographique regorgeant de références. Lester Lynch, s’il se produit régulièrement aux USA, en Allemagne ou en Suisse, est relativement peu connu en France. Sa voix fait entendre quelques couleurs alla Sherill Milnes, mais il est loin de posséder l’autorité vocale de son compatriote. Ce sont surtout ses premières interventions qui déçoivent, entachées d’une émission manquant de franchise, d’une diction un peu pâteuse et d’un vibrato mal contrôlé. La caractérisation du personnage laisse également à désirer dans son duo avec l’héroïne : plus d’une Violetta au caractère affirmé aurait tôt fait de renvoyer ce Germont quelque peu pâlot dans ses pénates ! Dès le « Di Provenza il mar » cependant, la voix trouve une certaine assurance, le baryton se montrant plus à l’aise dans l’expression de la douceur que dans l’invective ou la colère – ce que confirmera une confrontation avec Alfredo (second tableau du deuxième acte) assez ratée.
René Barbera est un Alfredo d’école belcantiste à la voix très légère : l’option se défend – même si les pages les plus dramatiques du rôle lui font assez sensiblement atteindre ses limites ; mais la relative légèreté vocale devrait être compensée par une incision dans la diction et une attention réelle apportée aux mots, afin d’assurer au personnage un certain poids dramatique. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas, et si la ligne de chant est le plus souvent soignée (superbe « Parigi, o cara« ), le chanteur peine à conférer de l’épaisseur au personnage.
Lisette Oropesa est probablement l’une des meilleures techniciennes et l’une des chanteuses les plus attachantes du moment. Comme celle de son Alfredo, la voix de cette Violetta est assez légère – mais une projection très efficace permet à Lisette Oropesa de tenir sur scène avec succès certains emplois non dénués d’épaisseur et de lyrisme, tels Amelia des Masnadieri, Isabelle de Robert le Diable, Juliette de Gounod ou, précisément… Violetta Valéry. Au disque cependant, la voix peine à délivrer tout son charme : les couleurs irisées qui la caractérisent habituellement semblent plus restreintes, le panel de nuances aussi, et, partant, la puissance d’émotion… Lorsque, comme c’est heureusement le cas ici, toutes les reprises sont proposées, il faut impérativement chercher à les singulariser, non en chargeant la ligne d’extrapolations vocales (nous ne sommes évidemment plus dans le bel canto du tout premier ottocento), mais en en variant l’expression, les couleurs, l’émotion… Rappelez-vous comment Scotto, sous la houlette de Muti, faisait de la reprise d’ « Ah, fors’è lui », murmurée à fleur de lèvres, un bouleversant moment d’introspection… Ici, le « A me fanciulla » (acte I) ou le « Le Gioie, i dolori » (Acte III) ressemblent un peu trop à leur première occurrence pour intéresser vraiment. La technique de la chanteuse est toujours superlative, le chant sur le souffle parfaitement maîtrisé (admirables « Così alla misera ch’è un dì caduta » ou « Dite alla giovine ») ; mais les moments les plus dramatiques, tels celui où Violetta comprend l’ignoble sacrifice que Germont lui impose la trouvent souvent à cours de ressources expressives : son « Cielo, che più cercate? », qui, dans la bouche des plus grandes, fait basculer en une seconde le mélodrame dans la tragédie, évoque ici tout juste la surprise et la contrariété. Sur scène, sans aucun doute, le poids de cette Violetta doit être tout autre, d’autant que Lisette Oropesa est également une très bonne comédienne à la physionomie très expressive. Au disque, tout paraît décidément un peu trop sage… Pour retrouver intact l’art de Lisette Oropesa, rendez-vous à l’Opéra Bastille en mars prochain : elle devrait y être une merveilleuse Ophélie dans le Hamlet de Thomas.
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[1] Voyez à ce sujet notre éditorial de septembre 2022.