Sondra Radvanovsky, soprano (Anna Bolena, Maria Stuarda, Elisabetta)
Eric Ferring, ténor (Sir Hervey, Lord Cecil)
Anthony Reed, basse (Lord Rocheford)
Mario Rojas, ténor (Riccardo Percy, Roberto Leicester)
Lauren Decker, contralto (Smeton)
Katjleen Felty, mezzosoprano (Anna Kennedy, Sara)
David Weigel, baryton-basse (Guglielmo Cecil)
Christopher Kenney, baryton (Giorgio Talbot)
Ricaro José Rivera, baryton (Duca di Nottingham)
Direction Riccardo Frizza
Orchestra and Chorus of Lyric Opera of Chicago
The Three Queens
DONIZETTI
Anna Bolena
Sinfonia (Ouverture)
« Chi può vederla »
« Piangete voi? »
« Al dolce guidami castel natio »
« Qual mesto suon? »
« Cielo, a’ miei lunghi spasimi »
« Chi mi sveglia? »
« Coppia iniqua »
Maria Stuarda
Sinfonia (Ouverture)
« Vedeste? »
« Anna! Qui più sommessi »
« Io vi rivedo alfin »
« Deh! Tu di un’umile preghiera »
« Oh colpo! »
« Di un cor che muore »
« Giunge il Conte »
« Ah! Se un giorno »
Roberto Devereux
Sinfonia (Ouverture)
« E Sara in questi orribili momenti »
« Vivi, ingrato »
« Che m’apporti? »
« Quel sangue versato »
2 CD Pentatone, 2022. Enregistré en public en décembre 2019 au Lyric Opera of Chicago. Notice de présentation en anglais. Durée totale : 37:21 ; 62 :15
Un programme précieux, en témoignage d’une expérience prodigieuse
Pendant bien longtemps, l’identification opératique des trois reines donizettiennes a été liée à l’interprétation qu’en a donnée Leyla Gencer entre la fin des années 1950 et la fin des années 1960, et ce malgré l’imposant souvenir de l’Anna Bolena de Maria Callas, à la Scala en 1957. D’autres cantatrices ont suivi, notamment Beverly Sills qui a eu la chance d’enregistrer les trois opéras en studio, relayée plus récemment par Edita Gruberova. Montserrat Caballé en a également laissé un glorieux témoignage en public. Exquise Maria Stuarda, Joan Sutherland s’est aussi aventurée dans une Anna Bolena moins marquante mais elle a préféré renoncer à l’Elisabetta de Roberto Devereux.
Sondra Radvanovsky a repris le flambeau. Royalement, c’est le cas de le dire. En effet, elle parvient à incarner les trois souveraines pendant la même saison 2015-2016, au Metropolitan Opera de New York, dans la production de David McVicar (un DVD assez confidentiel du premier volet avait paru en 2016 par les soins du Met). D’où l’idée du chef Riccardo Frizza de reproposer les trois scènes finales dans une même soirée, ce qui se réalise en décembre 2019 au Lyric Opera de Chicago dans une version semi-scénique. Reprogrammé en décembre 2020 au Liceu de Barcelone, ce spectacle revient enfin à l’affiche, dans ce même lieu, au printemps 2021, puis est repris au San Carlo de Naples en février 2022 mais avec d’autres seconds rôles que ceux qui interviennent dans l’actuelle version. Car il s’agit d’un enregistrement en public issu des premières représentations américaines, comme le lecteur peut le déduire du texte d’introduction d’Anthony Freud, le directeur général du Lyric Opera, aucune autre information n’étant donnée à ce sujet dans les crédits de Pentatone qui, malgré ce manque de renseignements, met sur le marché un produit plutôt élégant, agrémenté de quelques photos et des vers des scènes en question accompagnés de leur traduction en anglais.
Reines du belcanto
C’est donc un choix très courageux de la part de la cantatrice canado-américaine que de donner le change à ses illustres devancières et de se confronter au souvenir des créatrices des rôles, des monuments de l’histoire du genre : Giuditta Pasta pour Anna Bolena, au Teatro Carcano de Milan, en 1830, sera l’année suivante la première Norma de Bellini ; Maria Malibran pour Maria Stuarda, à la Scala, en 1835, bien que le personnage fût conçu à Naples, l’année précédente (le livret est remplacé par Buondelmonte pour cause de censure), pour Giuseppina Ronzi de Begnis qui créera par la suite Elisabetta dans Roberto Devereux (1837), toujours dans la capitale parthénopéenne. Et il faut admettre que Sondra Radvanovsky s’en sort avec tous les honneurs.
Bien plus qu’un concert
La soprano donne la réplique à un chœur très idiomatique, dont la diction est parfaitement intelligible dès les premières répliques d’Anna Bolena, « Chi può vederla », fait assez rare pour être signalé, même dans des théâtres où l’italien n’est pas une langue étrangère. Elle est soutenue par la direction alerte de Riccardo Frizza, l’un des meilleurs chefs du moment dans ce répertoire de la première moitié du XIXe siècle, dont l’orchestre excelle lorsqu’il met en relief la fraicheur des vents, très nuancés, surtout dans l’ouverture d’Anna Bolena, la souplesse des cordes, dans la sinfonia de Maria Stuarda, et la discrétion des cuivres, dans les pages équivalentes de Roberto Devereux. Une petite dizaine de comprimari l’épaulent, déployant un professionnalisme affirmé.
Vers les plus hauts sommets
L’élocution ciselée à l’extrême de « Piangete voi? », le premier récitatif de la deuxième épouse d’Henri VIII, montre d’emblée le chemin choisi par l’interprète : une voie royale se hissant vers les plus hauts sommets. Et le confirme « Al dolce guidami castel natio », la cavatine du souvenir, dont l’intensité du phrasé vient davantage illustrer la dichotomie entre un passé heureux et ce présent tragique. La variation des couleurs modulant plus loin le moderato de la malédiction défendue (« Coppia iniqua »).
Attaquée de manière quelque peu martiale, la prière de Maria Stuarda (« Deh! Tu di un’umile preghiera ») se démarque à son tour par une longueur du souffle sans faille que relaie l’autorité dans l’accent du larghetto qui suit (« Di un cor che muore »).
Dans Roberto Devereux, le récitatif d’introduction (« E Sara in questi orribili momenti ») renouvelle les merveilles d’Anna Bolena en matière de déclamation, le maestoso final (« Quel sangue versato ») étant à juste titre majestueux.
Un legato prodigieux rapproche, par ailleurs, la qualité de l’expression dans les trois scènes. Contrôlé dans le cantabile d’Anna Bolena (« Cielo, a’ miei lunghi spasimi ») où le portamento et les teintes chaudes de la voix s’allient afin de rendre la gravité du moment, il se déploie de manière magistrale dans le maestoso conclusif de Maria Stuarda (« Ah! Se un giorno ») et dans la cavatine de Roberto Devereux (« Vivi, ingrato ») où la longueur du souffle est en tous points admirable.
Si vraiment on voulait avancer un reproche à cet enregistrement, ce serait pour le soupir d’Elisabetta à la fin de son premier récitatif et pour une forme de réalisme, sans doute hors propos, dans le tempo di mezzo de la même scène (« Che m’apporti? »). Des péchés véniels à côté de tant de splendeurs.
Depuis quelque temps, les reine donizettiennes ont le vent en poupe. Rappelons le récent Tudor Queens de Diana Damrau qui, cependant, ne s’est pas mesurée à Elisabetta à la scène, du moins pour le moment. Le Théâtre de la Monnaie de Bruxelles annonce également une Bastarda pour le mois d’avril 2023 , mais avec trois, voire quatre, reines différentes. Vraisemblablement il y sera aussi question du Castello de Kenilworth de 1829, dont l’héroïne, encore dans le sillage de l’Elisabetta rossinienne, avait été personnifiée par Adelaide Tosi. Espérons que, dans la foulée, Riccardo Frizza reprendra ces Three Queens avec Sondra Radvanovsky au Donizetti Festival de Bergame dont il est le directeur musical. Le spectacle y trouverait sûrement son écrin idéal.