Marie-Laure Garnier, soprano
Célia Oneto Bensaïd, piano
Quatuor Hanson : Anton Hanson, Jules Dussap, Gabrielle Lafait, Simon Dechambre
Chants nostalgiques
Gabriel Fauré, La Bonne chanson, op. 61
Ernest Chausson, Chanson perpétuelle, op.37 – Poème de l’amour et de la mer, op. 19
Charlotte Sohy, Trois chants nostalgiques, op. 7
1 CD B.Records, sortie le 13 janvier 2023.
Voici une expérience chambriste réussie : une soprano à l’exquise musicalité (Marie-Laure Garnier), une pianiste complice depuis leurs études partagées au CNSM (Célia Oneto Bensaïd), des cordes chambristes de haut vol (Quatuor Hanson), le tout dans un programme fin-de-siècle. Pour optimiser leur résidence à la fondation Singer-Polignac, les artistes ont enregistré cet album face au public de l’Estran, salle de spectacles de Guidel (Bretagne). L’enregistrement respire la communion spontanée avec les auditeurs (y compris les applaudissements), familiers des rivages que le poète Maurice Bouchor fait émerger dans son cycle Poème de l’amour et de la mer, choisi par son ami, Ernest Chausson (1893). Notons que le label b.records est dédié au concert en live.
L’atout de cet album réside déjà dans la sélection des mélodies, conviant ce cycle fameux de Chausson (1893), mais aussi La Bonne chanson de Gabriel Fauré (1894) sur les vers de Verlaine et les Trois chants nostalgiques de Charlotte Sohy (1910) sur des vers de Cyprien Halgan. Celui-ci offre le titre de l’album et fait miroiter l’ethos décliné par les poètes et compositeurs français dans l’esprit délétère fin-de-siècle. Différemment de la Sehnsucht germanique, estampille ineffable du Lied romantique, la nostalgie des poètes symbolistes se joue des nuances et des « poses », depuis les frissons de légèreté (Donc, ce sera par un clair jour d’été) et de l’espoir (Puisque l’aube grandit) jusqu’à la volupté (Sous ce ciel d’hiver), de l’amertume amoureuse (La fleur des eaux) versant vers le désespoir (La mort de l’amour), voire l’oubli abyssal.
Le second atout est de choisir la formation chambriste – un quintette à cordes avec piano – pour soutenir les couleurs de la voix, porteuse d’images poétiques. Développée par Fauré dans sa seconde version de La Bonne chanson, cette sorte de voie médiane (ni avec piano, ni avec orchestre) devient aussi celle du Poème de l’amour et de la mer. Originellement conçu pour soprano et orchestre, à l’époque où Chausson compose Le Roi Arthus, le cycle paraît ici dans une transcription pour la formation signalée, superbement réalisée par le chef d’orchestre Franck Villard (éd. Symétrie, 2008). Grâce aux configurations variées qu’elle offre, aux individualisations des lignes, les nuances poétiques comme celles d’intensité musicale enveloppent la Chanson perpétuelle de Chausson ou embrasent les Trois chants nostalgiques de Charlotte Sohy, émule de Mel Bonis et de la Schola Cantorum. Quant à l’ombre portée d’Henri Duparc dans le Poème de l’amour et de la mer, elle est tour à tour « Calme » dans le prélude instrumental de La fleur des eaux, quasi symphonique dans le balancement déhanché (le 3/ 8) du dernier volet de triptyque. Mention spéciale à l’altiste et au violoncelliste des Hanson, un quatuor aux 2 précédents albums amplement récompensés.
Au sein de ce parcours, la contribution de la soprano Marie-Laure Garnier (Révélation lyrique des Victoires de la musique 2021) est celle d’une authentique mélodiste depuis ses prestations d’ambassadrice de la mélodie française, de l’abbaye de Royaumont jusqu’au Canada. Elle guide ses partenaires dans le cycle fauréen, capable d’éclairer certains vers en exergue (« Et quand le soir viendra »), d’assurer une fluidité sinueuse ou un clin d’œil espiègle (« mille cailles ») au fil des neuf mélodies. Seule réserve : la prononciation perd sa netteté dans le registre aigu. Pour les cycles de Sohy et de Chausson, l’écriture la conduit à se fondre dans le tissu instrumental, souvent guidé par le piano polyphonique de sa partenaire privilégiée, Célia Oneto Bensaïd. Ce sont alors les chaudes couleurs du grave, celles nacrées du médium et flûtées de l’aigu qui habillent la poésie désenchantée de Bouchor, y compris la grave mélopée « Comme des fronts de morts ». Cette sobriété vocale est à saluer pour une jeune artiste, ce pourquoi nous préférons cette interprétation des Chants nostalgiques de Sohy, plutôt que celle d’Aude Extremo dans la version orchestrale conduite par Debora Waldman et gravée sur le CD Charlotte Sohy (Orchestre national d’Avignon-Provence, label La Boite à pépites).
Si vous résidez aux alentours d’Avignon, ne manquez pas le concert de lancement de cet album : le 10 janvier à l’Opéra Grand Avignon.