Variations secrètes, mélodies pour voix, violon et piano – Aujourd’hui comme hier
Victoria Shereshevskaya, mezzo
Alexandra Soumm, violoniste
Rémi Geniet, pianiste
Yan Levionnois, violoncelliste
Variations secrètes, 1 CD Klarthe
Mikhaïl Ippolitov-Ivanov, 4 poèmes de Rabindranath Tagore pour voix, violon et piano
Cécile Chaminade, Menuet pour voix, violon et piano – texte de Pierre Reyniel
Camille Saint-Saëns, Violons dans le soir – texte de Anna de Noailles
Lucas Debargue, Cinq mélodies pour voix, violon et piano sur des poèmes de Charles de Baudelaire – composition originale écrite pour les trois artistes, en hommage à Y.Galperine
Youli Galperine, « Cosmos d’Odessa » – composition originale écrite et dédiée aux trois artistes
Dmitri Chostakovitch, Sept romances sur des poèmes d’Alexandre Blok pour voix, violon, violoncelle et piano
Luigi Denza, « Si vous l’aviez compris… » texte de Clifton Bingham, traduit en français par Stéphan Bordèse
C’est un genre trop rarement défendu que la musique de chambre avec voix. Un chanteur ou une chanteuse avec un ou une pianiste, cela court les rues. Mais dès qu’au clavier s’ajoute un ou deux instruments, on entre dans un univers proche mais différent, presque aussi rare au disque qu’au concert. La label Klarthe fait donc preuve de courage et d’audace en sortant des sentiers battus en proposant un disque pour voix, violon et piano (plus violoncelle pour quelques plages), et plus encore avec un programme franco-russe émaillé de raretés.
Chronologiquement, le parcours nous emmène du tout début du XXe siècle au premières décennies du nôtre, non sans quelques motifs d’étonnement. Composées en 1904 et 1907, les œuvres de Cécile Chaminade et de Saint-Saëns sont bien de leur époque, le poème d’Anna de Noailles « Violons dans le soir » inspirant au second un bel hommage à l’instrument à cordes. En 1919, le Napolitain Luigi Denza, compatriote et exact contemporain de Paolo Tosti, compose une romance sentimentale dans le prolongement de la Belle Epoque, ce qui se conçoit. Plus surprenant est le choix de Mikhaïl Ippolitov-Ivanov qui, en 1935, publie un recueil de quatre mélodies sur des textes de Rabindranath Tagore, mis en musique dans un style certes infiniment séduisant, mais qui n’aurait pas déparé un demi-siècle auparavant. Le programme se poursuit après la Seconde Guerre mondiale : de 1967 datent les Sept Poèmes d’Alexandre Blok de Chostakovitch, et de 2017 la cantate ou scène lyrique de Youli Galpérine Cosmos d’Odessa, deux œuvres d’une modernité tempérée mais réelle. Retour au passéisme enfin, avec les Cinq Mélodies sur des poèmes de Baudelaire écrites en 2019 par Lucas Debargue (né en 1990) : revendiquer un langage tonal, c’est une chose, mais s’adonner du même coup au pastiche le plus mou, c’en est une autre, surtout en reprenant en ouverture de recueil « Harmonie du soir », dont Debussy a laissé une version combien plus mémorable – et innovante en son temps !
Pour défendre ce programme où aujourd’hui se mêle à hier (et se déguise en avant-hier), et l’on chante autant en russe qu’en français, sont réunis une voix russe, celle de la mezzo Victoria Shereshevskaya, et des instrumentistes français : la violoniste Alexandra Soumm et le pianiste Rémi Geniet, occasionnellement rejoints par le violoncelliste Yan Levionnois. Les sonorités de ces instruments se marient bien au timbre chaud et aux accents vigoureux de la mezzo, qui sait se plier aux différents styles exigés par ce parcours, et notamment dans l’œuvre de Youli Galpérine qui fait appel au Sprechgesang. L’articulation du français est bonne et globalement claire, même si elle est d’abord un peu difficile à suivre dans « Menuet » de Chaminade. Alors que Chostakovitch sut exploiter toutes les ressources expressives de l’organe de Galina Vichnevskaïa, créatrice de ses mélodies sur des poèmes de Blok, les Baudelaire de Lucas Debargue ont le défaut de pousser la voix jusque dans des aigus extrêmes où la voix de Victoria Shereshevskaya, poussée dans ses retranchements, devient moins agréable à écouter.