Cyrille Dubois, ténor
Orchestre national de Lille, Pierre Dumoussaud (dir.)
So romantique !
Airs d’opéras-comiques de Daniel-François-Esprit Auber, Georges Bizet, François-Adrien Boieldieu, Louis Clapisson, Léo Delibes, Gaetano Donizetti, Théodore Dubois, Benjamin Godard, Charles Gounod, Fromental Halévy, Charles Luce-Varlet, Charles Silver, Camille Saint-Saëns, Ambroise Thomas.
CD label Alpha Classics 924, sortie mars 2023
Connaissez-vous les opéras de Louis Clapisson, Théodore Dubois, Benjamin Godard, Luce-Varlet ou de Charles Silver ? Sans doute moins que ceux d’Auber, de Bizet, Boieldieu, Delibes, Thomas et Saint-Saëns. Ce florilège d’airs pour « ténor de grâce » les rassemble judicieusement. Avec Cyrille Dubois et l’Orchestre national de Lille, la célébration de l’opéra-comique prend tout son sens !
« C’est avec l’idée de rendre ses lettres de noblesse à ce précieux patrimoine français que j’ai construit ce programme, qui fait la part belle aux raretés en mettant en valeur l’emploi et l’usage des registres si caractéristiques du ténor de grâce à la française » confie Cyrille Dubois sur le site de Radio-France. Qui d’autre que cet ambassadeur de l’opéra-comique (Nadir des Pêcheurs de perles) et de la mélodie française pourrait convaincre les auditeurs, avec le partenariat de Pierre Dumoussaud conduisant l’Orchestre national de Lille ?
En effet, cet album est la réussite d’un choix esthétique établi entre les interprètes et le Palazzetto Bru Zane, acteur de la re découverte du XIXe siècle français. Leur sélection valorise l’adéquation entre une typologie vocale, celle du ténor d’opéra-comique dixneuviémiste, et l’emploi de jeune premier que librettistes et compositeurs ont construit au fil d’intrigues renouvelées. Que préférerez-vous ? Auber ou Boieldieu, Gounod ou Thomas, Dubois ou Silver ? Et du côté des emplois : l’amoureux sentimental ou le crâneur, le défenseur des libertés ou le « militaire et mari », le jeune paysan mystique ou le jeune anglais du style troubadour ? Si certains amateurs lyriques connaissent le fabliau de Léandre du Médecin malgré lui, la mélodie de Wilhelm dans Mignon ou celle de Bénédict dans Le Timbre d’argent, d’étonnantes découvertes piqueront votre curiosité. La sentimentalité gracieuse imprègne tant la « Romance du sommeil » de L. Clapisson (une thématique familière depuis la tragédie lulliste) que celle de B. Godard dans Pedro de Zalamea (1884). Celle-ci bénéficie d’une orchestration véhémente (introduction et postlude) que l’Orchestre de Lille fait valoir. Hors du grand opéra Hamlet, l’art d’Ambroise Thomas dans la cavatine est bien peu diffusé. Ecoutons son animation lorsque Gennaro réclame l’amour et les plaisirs dans Le Roman d’Elvire (1860). Et tendons l’oreille vers l’éloquence véritablement romantique de celle de Raymond, l’énigmatique homme au masque de fer, emprisonné à vie sous Louis XIV : son parcours récitatif-cavatine est fort convaincant sous la direction dynamique de Pierre Dumoussaud. L’éloquence mute en effusion lorsque le protagoniste Joseph Haydn (si, si !) est à l’affût d’une inspiration musicale dans L’élève de Presbourg (1840), opéra signé de Charles Luce-Varlet. Si le drame investit avec maestria les extraits de Bizet (Smith dans la Jolie Fille de Perth) et de Delibes (Gérald dans Lakmé), il sous-tend aussi l’errance de l’amoureux dans Myriane de Charles Silver (1913) dont le langage harmonique est évidemment plus audacieux.
Concernant le talent du « ténor de grâce », Cyrille Dubois, la sélection de 17 airs ménage des séductions variées, d’autant qu’elle s’étale de 1825 à 1913. Variée car cette typologie est issue d’une lignée française qui s’enrichit sans cesse en s’adaptant au goût des publics, depuis l’ère de la haute-contre (Jélyotte et la tragédie de J.-P. Rameau) jusqu’au passage vers le ténor demi-caractère (voir le cd Confidence avec Julien Behr et l’Orchestre national de Lyon). Le timbre lumineux et clair que Cyrille Dubois distille en voix de tête, allié aux orchestrations colorées (et non volumineuses) a la capacité d’émouvoir. D’autres atouts sont maîtrisés par le ténor à la prosodie et la ponctuation ciselées : son éloquence s’appuie aussi bien sur le cantabile – par exemple celui décrivant le paysage réel et intérieur du paysan de Xavière (T. Dubois) – que sur l’agilité virtuose dans la cavatine de Fabio (La Barcarolle d’Auber) traduisant son attente fébrile. Une agilité qui se métamorphose en vaillance belcantiste pour le rôle du militaire Tonio (La Fille du régiment) . Enfin, les couleurs vocales s’irisent dans les modulations géniales de Bizet (La Jolie fille de Perth) ou de Delibes (Lakmé). Une seule réserve : les crescendi systématiques sur la rime de « Viens gentille dame » (Brown dans La Dame blanche) ôtent du mystère à cet air iconique qui symbolise l’effusion romantique à la française.
Aussi attendons-nous avec impatience une « saison 2 » avec les mêmes interprètes ! Car l’absence d’Adolphe Adam – dont la fabuleuse Romance de Zéphoris dans Si j’étais roi – et celles d’autres oubliés et dédaignés (Albert Grisar, Ferdinand Poise, Edmond Audran, etc.) ne sauraient s’éterniser avec de tels artistes si bien conseillés !
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