CD – HULDA de César Franck – De quoi nous rendre tous franckistes !

Les artistes

Hulda : Jennifer Holloway
Gudrun : Véronique Gens
Swannhilde : Judith van Wanroij
La Mère de Hulda / Halgerde : Marie Gautrot
Thordis : Ludivine Gombert
Eiolf : Edgaras Montvidas
Gudleik : Matthieu Lécroart
Aslak : Christian Helmer
Eyrick : Artavazd Sargsyan
Gunnard :François Rougier
Eynard : Sébastien Droy
Thrond : Guilhem Worms
Arne / Un Héraut : Matthieu Toulouse
Orchestre Philharmonique Royal de Liège, Chœur de Chambre de Namur, direction : Gergely Madaras. 

Le programme

Hulda

Opéra en 4 actes et un épilogue de César Franck, livret de Charles Grandmougin (d’après Halte-Hulda de Bjørnstjerne Bjørnson), créé dans une version abrégée et remaniée en 3 actes le 8 mars 1894 à l’Opéra de Monte-Carlo. 

3 CD Palazzetto Bru Zane (juin 2023) – Enregistré du 17 au 20 mai 2022 à Namur et à Liège.

Pour la redécouverte de cette œuvre superbe, pour la direction de Gergely Madaras, pour l’excellence de la distribution !

Après sa mort, les disciples du Pater Seraphicus avaient voulu confiner leur maître dans le monde idéal de la musique religieuse et symphonique, passant sous silence les incursions de Franck dans le domaine de l’opéra, comme s’il leur appartenait à eux seuls de fouler les planches des théâtres, Vincent d’Indy brandissant le flambeau du wagnérisme lyrique à la française. Ce révisionnisme était d’autant plus facile que César Franck était mort plusieurs années avant que Hulda ait connu sa création scénique (partielle) à Monte-Carlo grâce à Raoul Gunsbourg, création restée hélas sans lendemain. Il aura fallu attendre plusieurs décennies pour que l’œuvre soit donnée en concert, puis remontée. Si la résurrection moderne eut lieu en Allemagne, à Fribourg, en 2019, il appartenait au Palazzetto Bru Zane de s’emparer de cette partition pour la confier à des interprètes plus habitués de la musique française et à la diction plus limpide. Grâce à une collaboration avec l’Orchestre philharmonique de Liège, qui a débouché en mai 2022 sur deux concerts, en Belgique et à Paris, cet opéra jouit désormais d’une magnifique intégrale de studio, dont on espère qu’elle donnera des idées aux directeurs de salle (on peut toujours rêver).

Car ce que confirme ce nouvel enregistrement, c’est qu’il ne s’agit pas d’une simple rareté, d’une curiosité, mais bien d’une œuvre majeure, probablement la meilleure création théâtrale d’un génie de la musique – en attendant de connaître Ghiselle, dont il n’eut pas le temps d’achever l’orchestration, on sait déjà que ses essais de jeunesse, comme le Stradella de 1841 redonné en 2012 à l’Opéra de Wallonie, sont assez gentiment oubliables. Hulda est en revanche une œuvre de la maturité où, sans éviter l’influence wagnérienne – un grand duo d’amour tristanesque, un monologue final de l’héroïne qu’on rapprochera à la fois de la conclusion du Crépuscule des dieux et du suicide de Senta dans Le Vaisseau fantôme –, le compositeur donne à entendre une voix personnelle, des harmonies audacieuses, et un art consommé de l’écriture orchestrale et vocale, pour les chœurs comme pour les nombreux solistes. S’il est d’ailleurs un obstacle possible au succès de Hulda, ce sont les effectifs requis, d’une ampleur elle aussi toute wagnérienne.

Heureusement, avec l’OPRL et le Chœur de chambre de Namur, placés sous la direction de Gergely Madaras, le Palazzetto Bru Zane pouvait compter sur deux formations de grande qualité, aptes à traduire avec autant de puissance que de finesse les intentions de César Franck dans toute leur complexité. Quant aux solistes, on y retrouve des habitués de ces résurrections, ainsi que quelques nouveau-venus. Parmi les divers rôles plus épisodiques, on remarque les ténors François Rougier et Artavazd Sargsyan, les basses Guilhem Worms et Matthieu Toulouse, ou la mezzo Marie Gautrot. Parmi les figures secondaires, Matthieu Lécroart prête toute son humanité à Gudleik, Véronique Gens est une noble Gudrun, et Judith van Wanroij une séduisante Swanhilde. Eiolf est ici doté de son indispensable vaillance grâce à Edgaras Montvidas. Restait à trouver la Walkyrie capable d’incarner le rôle-titre, défi relevé haut la main par Jennifer Holloway, remarquée dans Le Tribut de Zamora, et qui livre une mémorable incarnation du personnage de Hulda, déchirée entre l’amour et le désir de vengeance, les deux passions qui la consument tour à tour. Maintenant, si l’Opéra de Paris voulait réparer, avec plus d’un siècle de retard, l’erreur jadis commise en refusant cette partition, il serait très bien inspiré…