CD – Auprès du feu l’on fait l’amour – Airs sérieux et à boire de Marc-Antoine Charpentier
Les Épopées – Stéphane Fuget
Claire Lefiliâtre, Cyril Auvity, Marc Mauillon, Geoffroy Buffière, Gwendoline Blondeel
Auprès du feu l’on fait l’amour
Airs sérieux et à boire de Marc-Antoine Charpentier
« Diversité, c’est ma devise » Jean de La Fontaine
Marc-Antoine Charpentier connaissait et appréciait l’auteur des fables. En 1678, il a composé une pastorale, Les amours d’Acis et Galatée, sur un de ses textes. Entre les deux artistes, une complicité évidente s’était tissée. Rien d’étonnant si l’antienne de La Fontaine dans son Pâté d’anguille[1] convient particulièrement à ces airs sérieux et à boire que nous proposent Stéphane Fuget et ses amis, tant leur diversité de style et de climat étonne, tant l’interprétation sait jouer sur toutes les palettes des affects.
Ici, dans ce généreux enregistrement, nous sommes loin du Charpentier le plus souvent joué, de son Te deum, de sa Médée ou des hymnes à la Vierge et autres partitions religieuses. Le climat est au profane, à l’amour, à la chanson transfigurée en air de cour.
On y chante à une, deux voix ou plus : ces airs se succèdent dans un subtil agencement de climats où la poésie à toute sa place : Tout renait, tout fleurit, Rendez-moi mes plaisirs, Oiseaux de ces bocages…, et plus encore avec Au bord d’une fontaine où le clavecin de Stéphane Fuget offre un tapis délicat à la voix de Claire Lefiliâtre.
On y chante aussi a capella : Si Claudine ma voisine, Allons sous ce vert feuillage, Consolez-vous chers enfants de Bacchus ou Beaux petits yeux d’écarlate, où Cyril Auvity, Marc Mauillon et Geoffroy Buffière s’en donnent à cœur joie, pour notre plus grand plaisir.
On évoque le Roi Louis sur un air à boire (Que Louis par sa vaillance) qui n’a rien à envier aux Ponts Neufs alors à la mode[2], tout comme l’inénarrable Veux-tu compère Grégoire.
Parfois, l’invention dans l’accompagnement nous entraîne dans une sorte de vaudeville qui nous plonge dans l’imaginaire de la Foire Saint-Germain (Ne fripez pas mon bavolet, chanson qui connut un vrai succès). Fenchon, la gentille Fenchon prend des tournures lascives, sur des mélismes évoquant le madrigal, voire l’air d’Orfeo se présentant aux enfers chez Monteverdi. Ce qui donne à cette bluette un second degré particulièrement décalé – et jouissif.
Ici la truculence, là le bucolique ou encore le drame intime avec Tristes déserts, sombre retraite. La basse de violon d’Alice Coquart, mêlée à la basse de viole de Mathias Ferré, dresse une déchirante toile de fond à la voix subtile de Gwendoline Blondeel dans Ah ! laissez-moi rêver. C’est bien à un kaléidoscope d’émotions musicales que Stéphane Fuget nous convie.
Quant aux si belles et fameuses Stances du Cid, par la voix déchirante de Cyril Auvity, elles sont particulièrement réussies. Réécouter la version que Paul Agnew et William Christie en avaient donné en 1996, est révélateur des choix d’interprétation : là où Paul Agnew chantait avec un continuo un peu terne, Auvity incarne, épaulé par un frémissement musical de tous les instants, reflet du drame intérieur. La peine du Cid se déroule sur un rythme de passacaille (Que je sens de rudes combats), laissant ensuite place au cri de douleur contenu.
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[1] Extrait de ses Nouveaux Contes de 1674.
[2] Pont-neuf était le nom donné aux chansons nouvelles que les vendeurs proposaient dans les balcons du Pont-Neuf dès sa construction.