CD – Javier Camarena : Signor Gaetano
Javier Camarena, ténor
Alessia Pintossi, soprano
Edoardo Milletti, ténor
Orchestra Gli Originali, Coro Donizetti Opera
Direction Riccardo Frizza
Signor Gaetano
G. DONIZETTI
Betly (Daniele), « Ah!… È desso cospetto… E fia ver tu mia sarai »
L’elisir d’amore (Nemorino), « Una furtiva lagrima »
Maria de Rudenz (Enrico II), « Talor nel mio delirio »
Roberto Devereux (Roberto Devereux), « Ed ancor la tremenda porta // A te dirò negli ultimi singhiozzi // Bagnato il sen di lagrime »
Il giovedì grasso (Ernesto Rousignac), « Servi, gente, non v’è alcuno »
Don Pasquale (Ernesto), « Povero Ernesto! // Cercherò lontana terra // E se fia che ad altro oggetto »
Marino Faliero (Fernando), « Notte d’orrore // Io ti veggio // Quest’è l’ora »
Caterina Cornaro (Gerardo), « Misera patria! // Io trar non voglio // Guerra… Su, corriamo concordi »
Rosmonda d’Inghilterra (Enrico II), « Dopo i lauri di vittoria // Potessi vivere com’io vorrei »
1 CD Pentatone, 2022. Enregistré en août 2021 au Teatro Gaetano Donizetti de Bergame. Notice de présentation en anglais et italien. Durée totale : 76:03
Javier Camarena et Riccardo Frizza proposent un programme donizettien riche et comportant de nombreuses raretés. Une excellente interprétation et une réalisation artistique soignée : à consommer sans modération !
Un défi qui immortalise neuf interprétations donizettiennes de Javier Camarena
Si on fait abstraction des monographies consacrées aux reines Tudor, notamment par Diana Damrau et par Sondra Radvanovsky, cette dernière en public et chez le même éditeur, il est rare d’assister à la commercialisation sur le marché discographique d’une anthologie entièrement consacrée à Donizetti. Même un artiste aussi médiatisé et soutenu par les grandes maisons de disque que Juan Diego Flórez avait dû partager sa Furtiva lacrima de 2003, déjà sous la baguette de Riccardo Frizza, entre le maestro de Bergame et Bellini, disséminant par ailleurs ses incarnations donizettiennes dans ses albums ultérieurs, Great tenor, Spectacular et d’autres aria pour Rubini… Une dizaine d’année auparavant, Chris Merritt les faisait cohabiter chez son Heroic bel canto tenor avec les grands rôles rossiniens. Saluons donc l’initiative de Pentatone et surtout du Festival Donizetti Opera de la ville natale du compositeur, dont Riccardo Frizza est le directeur artistique, d’avoir saisi l’occasion d’immortaliser neuf des interprétations donizettiennes de Javier Camarena.
Un hommage plus que mérité
Comme l’interprète le rappelle dans le texte de présentation (uniquement en italien et en anglais, comme d’ailleurs les paroles des airs abordés, tous puisés de titres transalpins et traduits exclusivement dans la langue de Shakespeare), il s’agit de « rendre un hommage, plus que mérité, à un compositeur » qui a exercé « la plus grande influence sur sa vie et sur sa carrière ». Un hommage dont la réalisation, quoique fascinante et excitante, ne fut pas dépourvue de défis, ajoute-t-il. Répartissant ses interventions presque équitablement entre opera buffa et opera seria (quatre contre cinq), le ténor mexicain s’inscrit ainsi dans le sillage des Giacomo David, le père de Giovanni, d’Andrea Nozzari, de Domenico Donzelli et de Giovanni Battista Rubini, tous natifs de Bergame ou de ses environs, comme nous le rappelle Paolo Fabbri, directeur scientifique du Festival. Sauf que deux seulement des airs ici présentés sont issus des œuvres qu’ils ont créées : Il giovedì grasso et Marin Faliero, tous les deux pour Rubini (Ernesto Rousignac et Fernando).
Le défi auquel fait allusion le chanteur consiste probablement aussi dans le fait que deux seulement des héros ici abordés appartiennent à son répertoire scénique : Nemorino et l’Ernesto de Don Pasquale. Dans les deux cas, Javier Camarena fait état d’une palette chromatique des plus variées : la romanza du premier se distinguant pour l’intensité de l’interprétation, la scène du second par la variété des affects. D’ailleurs, Nemorino et Ernesto, sont-ils vraiment des personnages bouffes ?
Tous les extraits sont abordés dans leur intégralité, avec récitatif, tempo di mezzo et cabalette, lorsque c’est le cas. Toujours dans le répertoire bouffe, l’introduction de Daniele (Betly) se démarque d’emblée par la clarté de la diction et par l’agilité des ornementations, alors que l’autre Ernesto (Rousignac) du Giovedì grasso est une illustration impressionnante du chant syllabique.
Des scènes monumentales
Dans le répertoire serio, relevons deux constantes : la grazia des cavatines et l’éclat des cabalettes. Dans l’aria d’Enrico de la rarissime Maria de Rudenz, Javier Camarena est soutenu par la soprano Alessia Pintossi qui lui donne une réplique efficace dans le rôle de la protagoniste. Mais c’est assurément dans Roberto Devereux, Marino Faliero et Caterina Cornaro que l’artiste nous donne une leçon de chant magistrale. S’acheminant vers son exécution, le favori de la reine Élisabeth s’épanouit dans un allegretto privilégiant l’expressivité à l’étalage de décibels. Dans une situation similaire, les tensions qui traversent l’âme de Fernando, personnage préverdien, se dessinent notamment dans une déclamation sans faille. Comme jadis Chris Merritt, Javier Camarena donne à son Gerardo la couleur adéquate pour illustrer ses multiples facettes, du sacrifice de l’amoureux à la loyauté de l’ami, jusqu’à la vaillance retrouvée du guerrier. Dans le récitatif se distingue le camarade d’armes bien articulé de Edorado Milletti. À côté de ces trois extraits monumentaux, une autre rareté clôt le programme : la sortita d’Enrico II d’après Rosmonda d’Inghilterra, un rôle pour Gilbert-Louis Duprez, où se confirme l’intelligence du phrasé et la solidité de l’aigu.
Marino Faliero : Quest’è l’ora
Un approfondissement du répertoire pour ténor
Riccardo Frizza et sa formation Gli Originali sont d’un soutien sans faille à la lecture du chanteur et s’illustrent par ailleurs dans le larghetto précédant la scène de Devereux et dans le vivace introduisant l’air de Gerardo. Cependant que le chœur du festival se démarque par ses interventions bien idiomatiques, notamment dans les accents guerriers des Chypriotes dans Caterina Cornaro.
C’est assurément à « un approfondissement du répertoire pour ténor tout le long de la parabole créative du compositeur » que nous convie Riccardo Frizza grâce à ce programme dont Javier Camarena sait capturer toute émotion « dans l’exécution de chaque morceau ». Espérons qu’il y reviendra, en puisant dans son répertoire scénique, dont les titres hexagonaux : Tonio (La Fille du régiment) et Fernand (La Favorite). Les ténors donizettiens à redécouvrir sont encore nombreux : on pense surtout à Riccardo (Maria di Rohan), à Tamas (Gemma di Vergy), à Ugo (Parisina d’Este), à Crispo (Fausta), au Polyeucte français et, côté bouffe, à Pépé/Beppe (Rita).
À consommer sans modération !