Chen Reiss, soprano
Arabella Steinbacher, violon
Orchestre de chambre juif de Munich, dir. Daniel Grossmann
Fanny & Felix
Œuvres de Fanny Henzel et Felix Mendelssohn : arias, lieder, ouverture.
1 CD Onyx (2022)
Quelle belle idée de programme, bien qu’il soit logique, par les liens familiaux unissant les deux musiciens. Pourtant, à l’encontre des enregistrements proposés il y a encore quelques années, c’est bien Fanny Hensel qui est le centre de l’attention musicale et non Felix Mendelssohn. Deux œuvres du frère pour un bouquet d’œuvres dont une dizaine de mélodies avec orchestre composées par sa sœur qui est, à tous points de vue, la mieux servie.
À tout seigneur, tout honneur ? Le disque s’ouvre par une partition de Felix, Infelice !, trop rarement donnée, ici dans sa première version datant de 1834. La voix de Chen Reiss s’y déploie non sans charme, mais avec une légère distance. Elle y dialogue avec le violon d’Arabella Steinbacher, trop sage, à la sonorité un peu fermée.
À cet air de concert répondent deux œuvres orchestrées par Fanny. Un Chant de louange, petite cantate de chambre dans un style qui regarde vers Bach, reflet de l’intérêt de son frère pour le Cantor de Leipzig ? Mais la partition la plus intéressante est celle qui referme cet enregistrement, une scène dramatique dont le sujet emprunte à l’antiquité et la musique à l’air du temps. Car certains mélismes de Héro et Léandre font penser à ceux que développent Felix dans sa Première nuit de Walpurgis et certains moments semblent directement venus de tel air du Freischütz de Weber. Le texte s’y prête par l’évocation d’un climat nocturne. L’impression que laisse cette scène dramatique est bien celui du romantisme allemand d’alors, de Louis Spohr à Franz Schubert. Telle phrase du violoncelle, tel effet de cordes plongent aussi dans l’univers de Weber.
Pour ce beau moment si rare, on aurait souhaité plus d’incarnation, là comme ailleurs. On imagine ce qu’une Edda Moser, qui par ailleurs laissa une interprétation foudroyante d’Infelice[1] !, eût fait de ce grand moment qui gagne à être vraiment connu.
Car Chen Reiss semble plus intéressée par le beau chant que par l’envie de porter le sens et la théâtralité des textes. Si la soprano nous gratifie de superbes envolées ou vocalises, son timbre laisse parfois paraitre une légère dureté dans les aigus.
La dizaine de mélodies – sur les quelques 250 composées par Fanny Hensel Mendelssohn – font l’autre intérêt de ce disque au programme original. La compositrice emprunte à Goethe et Heine, mais aussi Gebel, Voss ou Grillparzer dans ses lieder pour piano. Mais ici, c’est le pianiste et compositeur Tal-Haim Samnon qui assure l’orchestration de ce choix avec beaucoup de subtilité.
Tout commence par la douce mélodie de la clarinette dans la Nuit de mai que l’on voudrait retenir tant la douceur en est capiteuse, avec une ombre de Richard Strauss dans les couleurs. Et s’enchaine Le chant des gondoliers, évocateur d’un doux balancement suggéré par les pizzicatti des cordes, les sonorités liquides des flûtes et clarinette suaves. La couronne de roses poursuit notre voyage dans un climat éthéré, avant que le violon concertant d’Arabella Steinbacher ne vienne ponctuer le lied Italie. Entrainant, il manque de l’humour mutin que Donna Brown lui offrait dans son bel enregistrement uniquement consacré à Fanny Hensel, avec Françoise Thillard au piano, il y a… trente ans déjà[2].
Quant au Crépuscule, il déploie de belles couleurs instrumentales, du cor au hautbois et la voix se fait de miel, qui susurre ensuite à nos oreilles Pourquoi les roses sont-elles si pâles ? La poésie est dans La perte une orchestration qui ferait presque déjà penser à quelques jeunes mélodies de Mahler – Gustav, pas Alma… Puis, les sombres sonorités des violoncelles, des cors et trombones ajoutent au sombre climat du dernier lied, ces Tombes anciennes sur un texte émouvant de Klopstock.
Quant à l’ouverture Les Hébrides, signée Felix, dans la version romaine de 1831, menée sagement, lourdement, elle pose problème. Aucun souffle romantique, aucune passion ne viennent animer une lecture sans grand relief. La prise de son n’aide pas cet orchestre[3] appliqué et par ailleurs trop routinier (l’Introduction pastorale de Fanny est bien prosaïque et le Chant de louange qui suit trop appuyé). Ce résultat instrumental en retrait est-il dû à un manque de cohésion de l’ensemble ou / et au choix d’un chef manquant d’implication et d’inspiration ?
Quoi qu’il en soit, ce disque est à marquer d’une pierre blanche dans la réévaluation des compositrices grâce à ces redécouvertes.
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[1] Infelice couplée à La nuit de Walpurgis. Enregistré par Edda Moser, le Gewandhaus de Leipzig dans un des plus beaux disques de Kurt Masur.
[2] Lieder et trio de Fanny Mendelssohn, enregistré en 1992 (Opus 111)
[3] Site de l’orchestre fondé en 2005 par son chef attitré Daniel Grossmann : https://jcom.de