Lucy Crowe, Alex Potter, Michael Spyres, Matthew Brook
English Concert and Choir
Direction : John Nelson
Haendel, Le Messie
(Erato, 2 CD, enregistré en 2022)
Une version qui compte pour l’interprétation du chef, son chœur, son orchestre et particulièrement pour deux des solistes.
Du grand art, du bonheur : rejoice greatly !
C’est difficile à croire, mais l’enregistrement historique du Messie par l’English Concert, sous la direction de Trevor Pinnock, date déjà de plus de 45 ans ! La bouleversante Arleen Auger était entourée d’une jeune Anne-Sofie von Otter, de Michael Chance, Howard Crook et John Tomlinson. Et depuis, tant de versions « sur instruments anciens », de John Eliot Gardiner à Nikolaus Harnoncourt, de William Christie à René Jacobs et tant d’autres.
Alors, un Messie de plus ? Non. Une réussite, à plus d’un titre. Car c’est ici la rencontre entre un John Nelson de quatre-vingts ans passés, chef connu pour sa direction à la tête d’orchestres traditionnels et un orchestre baroque qui fêtait, en 2022, ses cinquante ans. L’évènement avait lieu en grandes pompes, avec ce célébrissime oratorio enregistré à la cathédrale de Coventry[1].
Que venait faire John Nelson dans cette aventure croisée, lui dont de magnifiques intégrales Berlioz, gravées avec l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, avaient rappelé à quel point il a d’affinités avec ce romantisme français ? En fait, il s’inscrit ici dans la lignée d’un Simon Rattle qui n’hésitait pas à quitter les orchestres de Birmingham, Berlin ou Vienne pour diriger Bach ou Mozart avec The Orchestra of the Age of Enlightment, donc « sur instruments anciens ».
Dans sa lecture du Messie, John Nelson ne laisse rien au hasard. Il a si souvent dirigé l’œuvre que chaque note semble habitée. Ici, tout est équilibré, nuancé, sans effet surjoué, mais avec un sens des contrastes et du respect de la partition qui s’entend dès l’ouverture. Son tempo, un peu trop mesuré dans sa partie rapide, ouvre un porche plus solennel que joyeux. Mais la voix suave, ample et prenante d’un bouleversant Michael Spyres (Ev’ry valley) légitime immédiatement ce parti-pris, préludant à une fresque théâtralisée, vécue intensément. L’autre moment purement orchestral, la Pifa (dans sa belle version originelle de 1741), est d’une douceur bucolique qui s’enchaîne de façon aérienne avec le récitatif de la soprano Lucy Crowe.
Partout, le chef impose, discrètement, une vision fouillée et personnelle de l’œuvre, par des choix piochés dans les différentes versions de la partition, entre 1741 et 1750, qui nous font découvrir plusieurs moments bien particuliers comme ce He shall feed His flock… où l’alto laisse la place à la soprano, ou encore ce petit joyau, le court duo de contre-ténors How beautiful are the feet… De plus, le chef a pris soin d’ajouter, en bonus de l’enregistrement, plusieurs airs alternatifs, nous permettant ainsi de reconstituer telle ou telle version que Haendel modelait en fonction de ses interprètes.
Le chœur est le personnage essentiel de l’oratorio. Fourni, sans voix d’enfants diaphanes – loin de la version gravée en 1981 par Christopher Hogwood – le chœur de l’English Concert est superlatif, d’une clarté et d’une justesse confondantes, répondant à toutes les nuances demandées par le chef (O thou that tellest…). Rayonnant ici (And he shall purify, Glory to God, His yoke is easy…), il se fait tour à tour solennel (Behold the lamb of God…), déclamatoire (Surely…), caressant (And with His stripes…), bondissant avec humour (All we, like sheep…), tranchant (He trusted in God… ou Let us break…), triomphant (The Lord gave the word…) et toujours lumineux. Jusqu’à cet Alléluia, ici triomphant et non martial, que tout le monde attend et qui ne saurait cacher la forêt des sublimes autres chœurs.
John Nelson est particulièrement attentif aux détails signifiants (les timbales finales de l’Alleluia, les basses de l’orchestre très sollicitées…) comme aux atmosphères. La tendresse de l’air de soprano He shall feed His flock, semble arrêter le temps. La douleur de l’air du contre-ténor He was despised est soutenue par des violons qui semblent pleurer en contrechant. La voix d’Alex Potter s’y déploie avec des couleurs et des accents qui font de ces moments les plus bouleversants de cette intégrale. Le contre-ténor séduit à chacune de ses interventions, par la simplicité de sa ligne de chant, la fraicheur de son timbre, la qualité de ses vocalises (O thou that tellest) et son engagement de chaque instant.
La joie exulte dans les vocalises de Lucy Crowe dans son Rejoice greatly, quand Comme unto Him et I know that my redeemer liveth, en demi-teinte, nous bercent avec tendresse.
Le timbre de la basse Matthew Brook n’est, lui, pas toujours des plus homogènes ni le plus flatteur avec des aigus parfois difficiles (For behold…) et l’attendu The trumpet shall sound n’est pas le meilleur moment de cet enregistrement. Ce qui est d’autant plus dommage que le trompettiste qui dialogue avec lui est formidable.
C’est sans doute au ténor Michael Spyres que revient la palme du beau chant. Sa voix nous interpelle, nous parle au plus profond et ne cesse de nous tenir en haleine.
Enfin, ce qui ne gâche rien, la prise de son est à la hauteur de ce succès, captée dans une cathédrale de Coventry à la vaste résonance. A la fois limpide et analytique, elle enjolive aussi à dessein tel ou tel moment, ajoutant par exemple, dans For unto us…, un léger écho angélique après les vocalises comme sur les mots du chœur Wonderful, councellor.
Une version qui compte pour l’interprétation du chef, son chœur, son orchestre et particulièrement pour deux des solistes.
Du grand art, du bonheur : rejoice greatly !
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[1] Le coffret propose en plus des deux CD un DVD de la captation de l’œuvre en concert in situ.