Alcimadure : Élodie Fonnard
Daphnis: François-Nicolas Geslot
Jeanet : Fabien Hyon
Clémence Isaure :Hélène Le Corre,
Muriel Batbie-Castell : conseillère linguistique
Les Passions – Orchestre Baroque de Montauban
Les Éléments – Chœur de chambre Joël Suhubiette
Jean-Marc Andrieu, direction musicale
Muriel Batbie-Castell, conseillère linguistique
Daphnis et Alcimadure
Opéra (pastorale) en 3 actes de Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville, livret du compositeur, et un prologue (Les Jeux floraux de Claude-Henri de Fusée de Voisenon), créé le à Fontainebleau.
2 CD Ligia Digital
On n’en finit pas de redécouvrir des partitions de l’âge baroque. De tel opéra signé Vivaldi, Graun ou Desmarest au Polydore de Stuck. À ces trésors inégaux, il manquait un jalon. Plus qu’un témoignage, c’est bien le reflet d’une époque ici proposé par Jean-Marc Andrieu et ses complices.
Car la surprise principale vient de cette affiche : « pastorale languedocienne ». Un opéra (en)chanté en langue d’oc, sur un texte du compositeur narbonnais lui-même, après le prologue obligé, en français, à la gloire de l’amour !
Source : BnF / Gallica
Ce projet ne date pas d’hier. Il y a des années que Jean-Marc Andrieu, le chef des Passions, parlait de cette œuvre créée à l’automne 1754, au château de Fontainebleau, devant le Roi et la cour, et rêvait de la monter. Voilà qui fut fait dans le cadre d’un concert donné à Toulouse en octobre 2022 dans les meilleures conditions possibles, et qui fait aujourd’hui l’objet d’une publication en CD.
Soixante ans avant l’opéra occitan de Mondonville, Jean de La Fontaine écrivait sa version de Daphnis et Alcimadure :
Le jeune et beau Daphnis, berger de noble race,
L’aima pour son malheur : jamais la moindre grâce
Ni le moindre regard, le moindre mot enfin,
Ne lui fut accordé par ce cœur inhumain.
Las de continuer une poursuite vaine,
Il ne songea plus qu’à mourir. (…)
Daphnis mourut d’amour.
Passant, arrête-toi,
Pleure, et dis : Celui-ci succomba sous la loi
De la cruelle Alcimadure.
Gravure parue dans l'édition complète des Fables de La Fontaine en quatre tomes (1755-1759).
Autre temps, autre mœurs : avec Mondonville, aucune fin tragique, mais la lieto fine , cette fin heureuse des opéras de cette période. Quelques années après ce Daphnis, Gluck n’hésitait pas à rendre Eurydice à son Orphée. Le moment est alors plus à Rousseau qu’à Racine. D’ailleurs, Le devin du village de Jean-Jacques fut lui aussi créé à Fontainebleau, deux ans plus tôt, en 1752. Les temps sont alors à la pastorale.
Et l’histoire est morale : le riche berger Daphnis se meurt d’amour pour la belle et insensible bergère Alcimadure. Il se dit prêt à affronter tous les dangers jusqu’à la mort pour la cruelle. Cela tombe bien : un loup la menace, il le tue et la sauve. Et voilà que le cœur de pierre s’adoucit : « Il ne faut qu’un moment pour aimer. Il ne faut qu’un moment pour se rendre. »
Place au tambourin et contredanse.
Concert donné à Toulouse en 2022 - © Patrice Nin
Car la partition n’est pas avare de danses populaires (Entrée du peuple au Prologue), gigue et menuet, airs pour les bergers… Récitatifs et airs (brefs) s’y joignent, parfois avec chœurs. La musique est simple, ici et là empruntée à des airs populaires (« Jantils pastorelets ») ; partout bucolique (l’air pour les pâtres de l’acte 1), elle est charmante, facile à chanter, souvent répétitive. L’interprétation est excellente, le chœur à la fête, l’orchestre joyeux dirigé avec fougue par Jean-Marc Andrieu et mené de main de maître par un premier violon qui connait les répertoires baroques comme peu : Gilone Gaubert est le premier violon des Talens Lyriques depuis de nombreuses années. Tout juste est-on surpris d’un problème de cohésion des cordes, un peu aigres dans l’air d’Alcimadure « Gasolhatz, auselets » (« Gasouillez, petits oiseaux »).
C’est le dessus (soprano) Élodie Fonnard qui prête à Alcimadure son timbre acidulé, passant de la froideur à l’amour, sachant être enfin attendrie dans le bel air « Dafnis, mon cher Dafnis ».
Le Daphnis du haute-contre (ténor léger) François-Nicolas Geslot est tour à tour amoureux, conquérant, dépité, désespéré mais finalement heureux. Souvent touchant, il l’est particulièrement dans « Polida pastorella » (« Jolie bergère ») du premier acte.
Dans le prologue, Hélène Le Corre donne de doux accents à l’entremetteuse de l’amour Clémence Isaure, personnage toulousain légendaire du XIVe siècle. Et la taille (ténor) Fabien Hyon au joli timbre, campe un Jeantet enjoué, complice de sa sœur Alcimadure. Son air « Res n’es tan bel… » est une grande réussite.
Il faut noter la très belle qualité d’un livret passionnant et saluer le travail de Muriel Batbie-Castell concernant la prononciation.
De Mondonville, nous connaissions Titon et l’Aurore (opéra de 1753 – enregistré par Minkowski et ses Musiciens du Louvre dès 1991 et gravé sur DVD trente ans après par William Christie et ses Arts Florissants) ou Les fêtes de Paphos (opéra-ballet de 1758 – enregistré par Christophe Rousset et ses Talens Lyriques en 1997) et récemment Isbé (pastorale héroïque de 1742 – enregistré par György Vashegyi et son Orfeo Orchestra en 2017). Voici donc, en dialecte toulousain, la curiosité de ce chaînon manquant. À découvrir pour danser et savourer ce « ton simple et naïf» comme le notait Le Mercure de France à la création !