Orfeo : Jakub Józef Orliński
Euridice : Jacques Dutronc
Amore: Fatma Saïd
Il Giardino d’Amore, dir. Stefan Plewniak
Orfeo ed Euridice
Azione teatrale per musica en 3 actes de Gluck, livret de Ranieri de ‘Calzabigi
1 CD Erato, avril 2024
« Oh, mais il n’est pas nu ! » – Sur la pochette de son nouveau disque, Jakub Józef Orliński est habillé. Il a même un bandeau devant les yeux. Le phénomène Orliński est désormais une affaire qui marche, et le contre-ténor n’a plus besoin de mettre en avant d’autres arguments que son chant. Il rêve depuis longtemps d’interpréter l’Orfeo de Gluck, il l’a fait plusieurs fois sur scène ou en concert, notamment au Théâtre des Champs-Elysées en 2022, dans la production de Robert Carsen. De fait, la partition lui convient bien, et l’on ne criera pas cette fois que l’empereur est nu : Orliński, on le sait, est bien plus à son aise dans les airs « planants », dans le registre élégiaque, car les moments d’emportement mettent parfois en relief des stridences moins agréables à entendre. Dans Orfeo, aucune aria ne sollicite la virtuosité ou la vélocité, et le chanteur peut tout à sa guise émettre de beaux sons filés.
De la vélocité, pourtant, il y en a sans conteste dans cet enregistrement réalisé en janvier 2023. Grâce à l’accélération qu’ont connue les tempos depuis l’arrivée en force des baroqueux, la durée de l’Orfeo de Gluck rétrécit de décennie en décennie. Si l’on se réfère au tout premier enregistrement intégral sur instruments anciens, gravé en 1982 par Sigiswald Kuijken avec René Jacobs dans le rôle-titre, l’œuvre tenait à l’origine sur deux vinyles de 52 minutes chacun. En quarante ans, on est donc passé de 104 à 84 minutes, qui remplissent un unique CD. La compression est particulièrement frappante pour certains morceaux : les ombres heureuses deviennent très guillerettes, et « Che puro ciel », qui occupait plus de sept minutes, chanté par Jacobs, ne prend plus que 4 minutes et 40 secondes par Orliński. Plus aucun « tunnel » à redouter, et un vent salutaire souffle dans la perruque du bon Christoph Willibald.
Les compatriotes du contre-ténor, l’orchestre et chœur polonais Il Giardino d’Amore dirigé par Stefan Plewniak, se montrent tout à fait convaincants, avec des effets parfois inattendu, comme ces percussions martiales qui – c’est logique, s’agissant d’un « triomphe » – accompagnent le « Trionfi Amore » final.
Hors de Pologne ont été choisies les deux solistes féminines, dont le rôle est beaucoup moins développé. Dans le peu de temps qui lui est accordé, Elsa Dreisig campe une Eurydice combative, au timbre plus corsé que ce qu’on entend parfois. Quant à Fatma Said, elle est un Amour malicieux et enthousiaste, qui orne très délicatement ses airs. Jakub Józef Orliński se taille évidemment la part du lion, et s’il se permet une certaine véhémence dans ses récitatifs, loin de l’Orphée apollinien d’une certaine tradition, il redevient dans les airs cet éternel jouvenceau fragile qui ne manquera pas de ravir une fois de plus ses fans, là où d’autres préféreront peut-être un héros à la voix autrement plus charnue, plus charpentée. Mais il leur reste toujours la version de Paris, pour ténor, ou la révision Berlioz, pour mezzo-soprano…