CD – Jean-Joseph Mouret, Musicien des Grâces par l’ensemble La Française – Pour dépasser Ragonde

Les artistes

Marie Remandet, soprano

Ensemble La Française, dir. Aude Estienne

Le programme

Jean-Joseph Mouret, Musien des Grâces

Motet I “Usquequo Domine”
Airs à danser, Première Suite
Motet VIII “Laudate Nomen Domini”»
Concert de chambre
Motet V “Cantate Domino”
Motet X “Venite exultemus Domino” (extrait): Venite, adoremus Deum

1 CD Musica Ficta, mai 2024

En 1992, le label Erato faisait paraître un enregistrement de l’opéra Les amours de Ragonde, dirigé par le jeune Marc Minkowski ; sur le boîtier, L’Affreuse Duchesse de Quentin Metsys, qui inspira à Lewis Carroll le personnage de la Duchesse dans Alice au pays des merveilles ; dans la distribution, quelques noms appelés à devenir plus illustres, comme ceux de Jean-Paul Fouchécourt ou Gilles Ragon. Voilà à quoi s’est longtemps résumée notre connaissance de Jean-Joseph Mouret : un divertissement conçu en 1714 pour la duchesse de Maine en son château de Sceaux, remanié en 1742 pour la Pompadour (c’est cette deuxième version qui s’intitule Les Amours de Ragonde, l’originale s’appelant Le Mariage de Ragonde et de Colin ou la Veillée de village).

Quelques disques sont ensuite sortis, principalement consacrés à la musique instrumentale, mais depuis quinze ans, Mouret était à peu près retombé dans l’oubli d’où, avant Minkowski, Jean-François Paillard avait tenté de le tirer dès les années 1970. Pourtant, le compositeur originaire d’Avignon avait à son actif quelques titres de gloire, et non des moindres : Les Fêtes de Thalie (1714) et plusieurs autres opéras-ballets, et deux tragédies en musique Ariane (1717) et Pirithoüs (1723), ainsi que beaucoup de divertissements et de cantates ou cantatilles, sans parler des sonates et fanfares. Pourquoi l’intérêt que suscite tout le répertoire de cette période a-t-il jusqu’ici négligé Mouret ? Mystère. Certes, Mouret n’est pas l’égal de son contemporain Rameau, mais le Dijonnais domine de très haut tous les autres Français de son temps, sans que cela empêche de les apprécier selon leur mérite.

C’est donc une excellente initiative qu’a prise l’ensemble La Française, même si l’on est d’abord un peu surpris par un programme qui rapproche des « Airs à danser » et quatre motets sur des textes en latin, écrits pour le Concert Spirituel. A l’écoute des œuvres, on se rend néanmoins compte que, souvent, la musique qui accompagne ces poèmes aurait tout aussi bien pu se prêter à des sujets profanes, la gaieté ou le sérieux des différents moments n’ayant rien de spécifiquement religieux.

Sous la direction d’Aude Estienne au traverso, les huit instrumentistes de La Française rendent justice à l’inspiration de Mouret, notamment dans le Concert de chambre, avec son « Ouverture » digne d’un opéra, ses danses et sa grandiose chaconne conclusive. Les quatre motets sont confiés à Marie Remandet, dont on apprécie la diction soignée et l’espièglerie qu’elle parvient à conférer au texte latin qui vire parfois à la galanterie (« Combien de temps, Seigneur, vas-tu ma cacher ton visage ? Combien de temps mon ennemi sera-t-il le plus fort ? » sont autant de formules qui se prêteraient bien au discours amoureux). Si l’on peut regretter parfois un peu trop d’air sur les notes hautes, le timbre a de belles couleurs dans la partie basse de la tessiture, et la soprano maîtrise sans peine la virtuosité exigée par certains passages.

Ce programme varié constitue une bien agréable invitation à découvrir davantage Mouret, et l’on espère qu’il inspirera d’autres interprètes à s’emparer à leur tour de ses partitions.