Maximilian Aue : Peter Tantsits
Una von Üxküll-Aue : Rachel Harnisch
Thomas Hauser : Günter Papendell
Héloïse Moreau : Natascha Petrinsky
Aristide Moreau : David Alégret
Orchestre Symphonique de l’Opéra Ballet Vlaanderen, dir. Peter Rundel
Les Bienveillantes
Opéra de Hèctor Parra, livret de Händl Klaus d’après le roman de Jonathan Littell
3 CD b•records, sortie 24 mai 2024
Prix Goncourt et Grand Prix de l’Académie française en 2006, l’épais roman Les Bienveillantes de Jonathan Littell n’est pas passé inaperçu, et a même souvent provoqué le malaise, dans son choix d’un officier SS comme protagoniste et narrateur. Le pavé offrait une exploration des pires facettes de l’humanité, accumulant les descriptions des crimes les plus abjects. Certes, l’auteur l’avait divisé en sept parties correspondant à celles d’une suite de danses à la manière de Couperin, mais de là à imaginer une adaptation en opéra, il y avait un pas qu’a allégrement franchi Aviel Cahn, commanditaire de l’œuvre pour conclure son mandat à la tête de l’Opera Ballet Vlaanderen.
Né en 1976 à Barcelone, professeur de composition à l’IRCAM de 2013 à 2017, Hèctor Parra a poursuivi dans une voie sulfureuse puisqu’après la création en 2019 à Anvers, il a composé un opéra intitulé Orgia d’après Pasolini, également mis en scène par son compatriote Calixto Bieito. Les Bienveillantes reste néanmoins son œuvre scénique la plus ambitieuse, dont le label B Records publie une captation, cinq ans après. On peut y entendre le glou de l’excrément liquide qui se répandait sur le plateau, puisque la production mettait en avant ce que le livret (en allemand) soulignait également : dans le roman, le narrateur souffre de fréquentes diarrhées, et pour mieux rendre tout le côté nauséabond de l’intrigue, le librettiste Händl Klaus fait un usage abondant du mot scheisse où l’auditeur est plongé jusqu’au cou. Quant à la partition, elle revendique des influences multiples (Bach, Chostakovitch, Bruckner), mais elle se situe surtout dans le prolongement des Soldats de Zimmermann, et l’auditeur ne peut s’empêcher de songer à Wozzeck, en particulier au Capitaine, ou à Moïse et Aaron pour les passages confiés à un quatuor vocal. Bref, une musique sans concession, où les moments de répit sont rares – mais comment pourrait-il en être autrement, avec un sujet pareil ? – et où les rares passages qui se rapprochent du lyrisme traditionnel évoquent la relation incestueuse de Max Aue avec sa sœur Una.
Une photo du spectacle donné à l'Opéra Ballet Vlaanderen en 2019 - © Annemie Augustijns
Le chef Peter Rundel a l’habitude de diriger le répertoire classique autant que les œuvres modernes et contemporaines, il est donc tout à fait à son aise ici, tout comme le chœur et l’orchestre de l’Opera Ballet Vlaanderen. Parmi les solistes, à côté de nombreux personnages secondaires se détachent cinq chanteurs principaux. Les parents du protagoniste sont incarnés par la mezzo Natascha Petrinsky et le ténor David Alegret. Sur les presque trois heures que dure l’opéra, ils sont nettement moins présents, c’est logique, que le trio central formé par Aue, Una et l’ami indéfectible, Thomas, traditionnellement confié à la configuration ténor-soprano-baryton. Günter Papendell est un des piliers de la troupe du Komische Oper de Berlin où il cumule les grands rôles du répertoire, de Don Giovanni à Golaud en passant par Posa ou Escamillo ; Rachel Harnisch, applaudie dans le rôle-titre de La Juive à Lyon et à Strasbourg, confère une belle intensité à la sœur bien-aimée ; quant à Peter Tantsits, il n’est pas étonnant que sa prestation dans Les Bienveillantes lui ait valu le titre de Sänger des Jahres décerné par Opernwelt, car il est constamment en scène et affronte sans jamais faiblir une tessiture particulièrement tendue.
Un dernier mot sur la présentation du livre-disque, bel objet assurément, avec ses illustrations en couleurs et son texte quadrilingue, mais dont la présentation n’est guère commode pour l’auditeur : le livret est reproduit brut de décoffrage, la lisibilité n’en est pas le point fort, avec simplement l’indication des sept parties (y avait-il des didascalies dans le texte de Händl Klaus ?), sans que soient rappelés les numéros de plages des trois CD, ce qui oblige à des va-et-vient entre le sommaire reproduit page 6-7 (sans précision sur qui chante) et les pages 112 à 190 pour essayer de se repérer dans un texte touffu. Et quand la colonne des noms de personnages est décalée par erreur, comme c’est le cas p. 118, le résultat est encore un peu plus malaisé à déchiffrer…