CD – Jessica Pratt : DELIRIO, le belcanto romantique à l’honneur

Les artistes

Jessica Pratt, soprano (Lucia, Emilia, Linda, Elvira, Amina)
Adriano Gramigni, basse (Raimondo, Giorgio, Rodolfo)
Jungmin Kim, baryton (Enrico, Riccardo, Alessio)
Dave Monaco, ténor (Elvino)
Ana Victória Pittes, mezzosoprano (Candida, Pierotto, Teresa)

Orchestra e Coro del Maggio Musicale Fiorentino

Direction : Riccardo Frizza et Lorenzo Fratini

Le programme

Delirio

G. DONIZETTI

Lucia di Lammermoor (II, II, 5-6), « Oh giusto cielo… Il dolce suono // Ardon gli incensi // S’avanza Enrico // Spargi d’amaro pianto »
Emilia di Liverpool (I, 2), « Ecco, miratela // Madre! deh placati! // Ah! di contento »
Linda di Chamounix (II, 8), « Linda! a che pensate // Nel silenzio della sera // No, non è ver… mentirono  »

V. BELLINI
I Puritani (II, 3), « O rendetemi la speme // Qui la voce sua soave // Vien diletto è in ciel la luna »
La sonnambula (II, scena ultima),
« Coraggio… è salva! // Ah! Non credea mirarti // Ah! Non giunge uman pensiero »

 

1 CD Tancredi Records, 2023. Enregistré au Teatro del Maggio Musicale Fiorentino de Florence. Notice de présentation en anglais ou en italien (au choix au moment de la commande en ligne). Durée totale : 73:26

Il est certain que la discographie de Jessica Pratt ne rend nullement justice à son vaste répertoire. Malheureusement, on enregistre de moins en moins et même des interprètes de valeur parviennent péniblement à laisser un témoignage gravé de leur art. C’est donc sans réserve aucune que nous applaudissons à cette publication qui recueille des extraits significatifs de cinq opéras de Donizetti et de Bellini, allant de 1824 (Emilia di Liverpool) à 1842 (Linda di Chamounix). L’approche choisie, telle que l’évoque le titre en italien (Delirio) est la représentation du délire à l’opéra, allant de deux des scènes de folie parmi les plus célèbres du répertoire (celles d’I Puritani et de Lucia di Lammermoor) à la tout aussi fameuse représentation du somnambulisme (La sonnambula). En revanche, la sortita d’Emilia évoque davantage une forme de la tristesse qu’un égarement quelconque. Des créations qui, par ailleurs, respectent encore la convention du lieto fine, dans la meilleure tradition du XVIIIe siècle, sauf le chef-d’œuvre de Donizetti.

Ce sont des héroïnes que la cantatrice australienne a abordées à la scène, sauf Emilia di Liverpool, rôle parmi les plus rares, peut-être choisi en guise d’hommage à Joan Sutherland. C’est sans doute le moment le plus anecdotique et le moins intéressant de cet album. L’accent sonne cristallin dès le récitatif et la cabalette est très enjouée mais la perception de la cavatine reste quelque peu hachée et, dans l’ensemble, c’est l’extrait le moins intelligible du programme. Peu fréquentée au théâtre, bien qu’il en existe un repiquage intégral en dvd où Jessica Pratt incarne l’héroïne, Linda est vraisemblablement un personnage moins captivant que ses illustres devancières donizettiennes. Cela dit, la cantatrice l’aborde avec panache : toujours brillante dans le récitatif, dialoguant avec le bon Pierotto d’Ana Victória Pittes, elle apparaît recueillie dans la cavatine et fait preuve d’une technique bien solide dans la cabalette, demandant des écarts de registre non négligeables, pour des effets très probants.

Il est sans doute inutile de dire que là où notre soprano excelle le plus, c’est bien dans les trois rôles qu’elle a le plus chantés sur les planches. Aérien, le récitatif de Lucia ne cache nullement le drame qui vient de se perpétrer, les variations étant portées par une maîtrise de la ligne exceptionnelle. Attaqué dans un murmure, le cantabile s’épanouit dans des vocalises limpides accompagnées à l’armonica de verre. Dans le tempo di mezzo, où interviennent les appréciables Raimondo et Enrico d’Adriano Gramigni et de Jungmin Kim, nous retrouvons le monde du théâtre dans des échanges plus qu’agités, la cabalette se singularisant par le contrôle du souffle, la souplesse des transitions, la variété des cadences et la solidité d’un aigu percutant.

Ces deux acolytes abordent tout aussi vaillamment Giorgio et Riccardo dans I Puritani, dont la scène de folie se distingue par l’intensité du phrasé et encore par la longueur du souffle, tandis que l’allegro suit un rythme presque nuptial, en guise de souvenir du mariage manqué et de l’actuelle illusion, dont les ornementations s’enchâssent dans des notes piquées mémorables.

Elvino plutôt intimiste, Dave Monaco donne une vibrante réplique à Amina, autre rôle disponible in extenso en dvd, dans le récitatif introduisant l’épilogue de l’ouvrage : la passion donne le change à la tristesse. Suggérant la mélancolie de la cavatine d’un legato sublime, l’ultime liesse s’éclot dans le brillant de la cabalette qui ne sacrifie nullement à l’intelligibilité des vers.

Sous la baguette soignée de Riccardo Frizza, l’Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino sert diligemment la tension de la plupart des situations. Chœurs appréciables de la même institution, surtout dans le finale de La sonnambula.

Un hommage remarquable au belcanto romantique.

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Retrouvez Jessica Pratt en interview ici !