CD – Inégales Boréades
Alphise : Sabine Devieilhe
Abaris : – Reinoud Van Mechelen
Borée : Thomas Dolié
Adamas / Apollon : Tassis Christoyannis
Calisis : Benedikt Kristjansson
Borilée :Philippe Estèphe
Sémire / une Nymphe / l’Amour / Polymnie : Gwendoline Blondeel
Orfeo Orchestra – Purcell Choir, dir. György Vashegyi
Les Boréades (Abaris ou Les Boréades)
Tragédie lyrique en cinq actes de Jean-Philippe Rameau, livret attribué à Louis de Cahusac, 1763 (création le 21 juillet 1982 à Aix-en-Provence).
2 CD Erato, septembre 2024
Rameau a de la chance au concert comme au disque. Récemment, à l’Opéra de Versailles, c’est Vaclav Luks qui illuminait la partition des Boréades dans la suite de son bel enregistrement. Cette fois, c’est Erato qui propose l’enregistrement fait à Budapest il y a tout juste un an, dans la même distribution que la série de concerts donnée alors, passant du Théâtre des Champs Élysées au Concertgebow d’Amsterdam. György Vashegyi est d’ailleurs depuis longtemps familier des partitions ramistes. Il suffit de penser aux Fêtes d’Hébée ou bien à ce disque superbe avec Cyrille Dubois. Disons d’emblée que la réussite est mitigée.
Dès l’ouverture, le tempo adopté par Vashegy semble poser problème. Le tempo, vraiment ? Car à y regarder de près, il se trouve que l’enregistrement princeps laissé par John Elliot Gardiner, en 1982, durait exactement le même temps : 4’47. Mais à la réécoute, on est frappé par un travail de précision des attaques, où les violons emmenés alors par Elisabeth Wilcock, scintillaient et donnaient par la même un élan, une dynamique interne joyeuse et électrisante.
Autre exemple de ce manque de rebond interne, la fameuse contredanse en rondeau qui clôt le premier acte (1/14). L’orchestre de Vashegyi semble bouler les notes rapides, dans un geste nerveux, là où l’enregistrement des extraits instrumentaux de ces Boréades par Frans Brüggen en 1986 creusait le mystère et la polyphonie. Et nous sommes loin des contrastes si violemment à cru proposés par Teodor Currentzis dans sa vision ramiste électrisée de 2012[1] . C’est cette précision, ce travail en profondeur qui fait parfois défaut au nouvel enregistrement de l’Orfeo Orchestra où les instrumentistes sont impeccables. Dans une partition où les danses et moments instrumentaux sont nombreux et précieux, on aurait aimé un travail plus ciselé, avec plus d’épice et de malice (2/10), de mystère et de poésie (1/12, 2/35-36), d’entrain et de flamme (1/12, 32).
Et les chanteurs ? Le chœur est splendide dans ses interventions, bien que mis en retrait par les choix de la prise de son. Le Calisis de Benedikt Kristjànsson (déjà présent dans la version de Vaclav Luks) au timbre solaire, aux aigus parfois un peu forcés, se rit des vocalises du fameux air « Jouissons de nos beaux ans ». Philippe Estèphe campe un Borilée chantant mais manquant de souffle épique, contrairement au Borée de Thomas Dolié : quelle diction et quelle incarnation au cœur de cet acte IV, le seul auquel il participe ! Tassis Christoyannis, l’interprète des rôles d’Adamas et Apollon, déploie un style parfait donnant un vrai sens aux personnages. Quant à Gwendoline Blondeel on reste, comme souvent, légèrement déçu par ses aigus et un timbre, une émission qui, agréables à la scène, ne semblent pas profiter de la présence des micros.
Quant à l’Alphise de Sabine Devieilhe, aux aigus si reconnaissables, Erato en fait la vedette de cette parution. Est-ce si sûr ? Car si sa technique n’est plus à louer, il reste que ce beau chant a ici tendance à oublier l’incarnation théâtrale du rôle. Ainsi, son grand air de la fin du premier acte, « Un horizon serein » (1/13), s’il est superbement dessiné vocalement, se riant des vocalises, nous reste extérieur, manquant de chair, d’investissement dramatique. Le « Songe affreux » qui ouvre l’acte III, (2/1), s’il est aérien, pâtit du même problème.
De fait, le grand triomphateur de cet enregistrement est bien Reinoud van Mechelen. Familier du personnage d’Abaris, dont il grava plusieurs airs dans un splendide enregistrement, il livre une interprétation vibrante, engagée, à la ligne de chant aussi parfaite que sa prononciation. Ses interventions à l’acte IV sont un enchantement poétique et musical renouvelé (« Lieux désolés », 2/20, ou « Je vole amour », 2/34).
Au total, cette nouvelle version des Boréades, inégale, ne saurait éclipser la vision récente bien plus engagée et aboutie de Vaclav Luks[2].
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[1] Disque The sound of light, chez Sony. Teodor Currentzis viendra diriger Castor et Pollux à l’opéra de Paris, du 20 janvier au 23 février. A suivre sur Première Loge…
[2] CD de Château de Versailles Spectacle, enregistré en 2022.