Nadine Sierra, soprano
Pretty Yende, soprano
Les Frivolités Parisiennes
Direction : Giacomo Sagripanti
Nadine Sierra & Pretty Yende in concert
DONIZETTI
Don Pasquale (I, 4), « Quel guardo il cavaliere… / So anch’io la virtù magica » (Norina – Nadine Sierra)
La Fille du Régiment (I, 4), « Chacun le sait, chacun le dit » (Marie – Pretty Yende)
ROSSINI
Elisabetta, regina d’Inghilterra (II, 5), « Pensa che sol per poco… / Non bastan quelle lagrime » (Elisabetta, Matilde – Pretty Yende, Nadine Sierra)
BELLINI
La sonnambula (II, scena ultima), « Oh! Se una volta sola… / Ah! Non credea mirarti… / Ah! Non giunge uman pensiero » (Amina – Pretty Yende)
VERDI
La traviata (I, 5), « È strano!… / Ah, fors’è lui… / Follie! Follie!… / Sempre libera » (Violetta – Nadine Sierra)
BELLINI
Norma (II, 3), « Mira, o Norma… / Sì, fino all’ore estreme » (Adalgisa, Norma – Pretty Yende, Nadine Sierra)
DELIBES
Lakmé (I, 4), « Viens, Mallika… / Sous le dôme épais » (Lakmé, Malika – Nadine Sierra, Pretty Yende)
GOUNOD
Roméo et Juliette (I, 4), « Ah ! Je veux vivre » (Juliette – Nadine Sierra)
OFFENBACH
Les Contes d’Hoffmann (II,), « Les oiseaux dans la charmille » (Olympia – Pretty Yende)
BERNSTEIN
Songfest (n. 3), « A Julia de Burgos » (Nadine Sierra)
HERBERT
The Enchantress (II), « Art is calling for me (I want to be a prima donna) » (Princess Stellina – Pretty Yende)
BERNSTEIN
West Side Story (II), « I feel Pretty » (Maria – Nadine Sierra)
LOUIGUY
La vie en rose (Nadine Sierra, Pretty Yende)
1 CD Deutsche Grammophon, 2024. Enregistré à la Philharmonie de Paris, Grande salle Pierre Boulez, en mars 2023. Notice de présentation en anglais et allemand. Durée totale : 79:59
Une entente à son paroxysme
Deutsche Grammophon a eu l’excellente idée d’abord d’enregistrer, ensuite de publier le fameux concert du 6 mars 2023, conviant dans la Grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris deux parmi les sopranos les plus en vue de ces dernières années : Nadine Sierra et Pretty Yende. Un événement labellisé à l’époque « Les Grandes Voix », repris presque à l’identique un an plus tard au Teatro Real de Madrid. Ce repiquage reproduit l’essentiel de la soirée parisienne, sans toutefois les trois pièces purement instrumentales et la plupart des bis. L’absence d’applaudissements et d’indication de date dans la petite brochure d’accompagnement – uniquement en langues anglaise et allemande, elle n’indique que le mois de mars 2023 – laisse supposer que quelques ajustements auraient pu intervenir dans les jours qui ont suivi la performance, réunissant ainsi les conditions du studio plus que celles de l’exécution en public.
Lorsque l’on convoque deux sopranos, c’est généralement à leur rivalité que l’on pense, d’autant que nos deux interprètes partagent une très grande partie de leur répertoire respectif. Et si un certain antagonisme amusé pointe par moments, ce n’est que pour se prendre au jeu, les deux artistes affichant le plus souvent une complicité à toute épreuve.
Puisant surtout dans les titres les plus célèbres, le programme propose bien des rôles que les deux cantatrices ont déjà eu l’occasion d’aborder devant le public parisien. Il se partage entre opéra français et italien, non sans quelques incursions dans le catalogue anglo-saxon contemporain.
Il en est ainsi de la Norina de Nadine Sierra, confirmant une maîtrise parfaite de la ligne, l’éclat unique de l’accent et le velours de la colorature que nous avions déjà entendus au Palais Garnier en juin-juillet 2018 – dans une production reprise, par ailleurs, par sa consœur au printemps de l’année suivante. Et que dire de cette Violetta au souffle infini dans sa cavatine de l’acte I, avant les pyrotechnies de la cabalette – auxquelles fait écho l’Alfredo de Pretty Yende ! –, le drame se profilant aussitôt dans le tempo di mezzo. Ce ne fut qu’un avant-goût des représentations mémorables de l’hiver 2023 à l’Opéra Bastille dans la mise en scène auparavant créée au Palais Garnier par la soprano sud-africaine, en septembre-octobre 2019. Et si nous connaissons bien la Juliette de cette dernière pour l’avoir entendue à l’Opéra Bastille, l’été 2023, c’est à sa partenaire américaine que revient ce soir la tâche de relever le défi de la valse de présentation de la jeune fille, dont elle s’acquitte avec panache – comme à Bordeaux, en mars 2020.
Et c’est avec le même brillant que Pretty Yende vient à bout des vocalises cristallines de la ronde de Marie, puis des couplets d’Olympia – récemment abordée à l’Opéra national de Paris –, son incarnation d’Amina se distinguant par un phrasé d’exception dans le long récitatif d’introduction et dans la cavatine de son air final, la cabalette s’enrichissant de couleurs et de variations inédites. Que de chemin parcouru depuis la série du Théâtre des Champs-Élysées de juin 2021, levant aussi les réserves que nous avions avancées lors du Gala Maria Callas du 2 décembre 2023 – postérieur donc à ce concert – qui avait le défaut de figer les artistes dans un carcan bien rigide.
Dans les pages ‘américaines’, Nadine Sierra revit le désespoir proche du cri du troisième mouvement du cycle Songfest de Leonard Bernstein, dans l’original espagnol, tandis que Pretty Yende investit la volubilité de la parodie de Princess Stellina, de Victor Herbert, la première faisant sans doute un clin d’œil à la seconde dans un « I feel Pretty » de West Side Story où l’épaisseur de l’instrument donne un nouveau visage à Maria.
Norma : "Mira, o Norma", Philharmonie de Paris, 6 mars 2023
Bien évidemment, c’est dans les duos que l’entente entre ces fines musiciennes atteint son paroxysme. La pureté des timbres se marie à merveille avec le belcanto rossinien des deux rivales en amour, venant tempérer la rigueur de la situation dramatique. De même que la fluidité des dynamiques s’épanouit dans les épanchements de Lakmé et de Malika. Ainsi la prouesse de rendre justice à Norma et à Adalgisa, dans le duo de l’acte II, est-elle à marquer d’une pierre blanche : des héroïnes que les cantatrices n’ont pas encore osées à la scène et qu’elles auront sûrement l’occasion de peaufiner dans les années à venir.
Des bis concédés en public – un medley de musiques de films –, il ne survit qu’une version très opératique de La vie en rose, chantée à l’unisson.
Regrettons aussi l’absence de l’ouverture de La Perle du Brésil de Félicien David, la Sevillana de Jules Massenet et le « Pas de six » du Guillaume Tell rossinien, d’autant que Giacomo Sagripanti et Les Frivolités Parisiennes accompagnent nos deux divas dans un parcours sans faute, soulignant bien des détails des partitions au programme.
Un beau cadeau, sinon pour Noël, du moins pour les fêtes de fin d’année !!!
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Retrouvez Nadine Sierra en interview ici !