Nicola Alaimo, baryton
Matteo Torcaso, Matteo Mancini, barytons
Olha Smokolina, soprano
Orchestre et chœur du Maggio Musicale Fiorentino, dir. Giacomo Sagripanti
Nicola Alaimo
DONIZETTI, GRAND SEIGNEUR, Baritone Arias
Extraits de Gemma di Vergy, Alahor in Granata, Parisinia d’Este, Marin Faliero, Dom Sébastien, Maria di Rohan, Torquato Tasso
1 CD Dynamic, novembre 2024
Un récital d’airs d’opéras de Donizetti pour baryton, nous n’avions pas entendu cela depuis, sauf erreur… 1981, avec le célèbre album gravé par Renato Bruson sous la direction de Bruno Martinotti pour Decca. Ce « Grand Seigneur », signé Nicola Alaimo et Giacomo Sagripanti est tout simplement splendide. APPASSIONATO, pour la rareté et la beauté du programme, la qualité de l’interprétation, le soin extrême apporté à la réalisation.
Voici tout simplement l’un des albums de bel canto les plus enthousiasmants qu’il nous ait été donné d’entendre depuis longtemps. Le programme tout d’abord : entièrement consacré à Donizetti, il fait entendre de larges extraits d’œuvres rares (Gemma di Vergy, Alahor in Granata, Parisina d’Este, Marin Faliero, Dom Sébastien, Maria di Rohan, Torquato Tasso) et rappelle opportunément que le maître de Bergame ne se contenta nullement d’offrir ses joyaux vocaux aux prime donne de l’époque : les hommes furent également grandement honorés par le compositeur, spécifiquement les barytons qui, en ces premières années du romantisme naissant, se forgeaient progressivement une véritable identité vocale et dramatique en incarnant, presque systématiquement, le rival (politique, sentimental) du ténor.
Marin Faliero (Acte 1, Scènes 2, 3 et 4 ) : Oh! miei figli!… Era anch’io di quella...
Les longs extraits sélectionnés par les artistes permettent de (re)découvrir de vraies beautés, que les pages soient de facture classique (avec l’attendue alternance cavatine/cabalette, comme dans l’extrait de Gemma di Vergy) ou au contraire étonnamment novatrice (telle la longue scène qui ouvre Alahor in Granata, avec une prosopopée – Alahor s’adresse à l’esprit de son défunt père –, qui semble presque un hommage aux opéras baroques !). Tous les extraits séduisent, pour leur beauté et leurs qualités propres bien sûr, mais aussi parce qu’ils contribuent à inscrire Donizetti dans un continuum de l’opéra italien, tantôt en rappelant ce que le musicien doit à Rossini (la belle page, avec cor obligé, introduisant la longue scène de Torquato Tasso…), tantôt en préfigurant Verdi : l’émotion de Camoëns revoyant Lisbonne annonce celle de Procida face à Palerme, et le chant d’Azzo (Parisina d’Este) se déploie sur des paroles proches de celles chantées par Luna : « Per veder su quel viso / il balen d’un sol sorriso »…
C’est à des figures légendaires de l’histoire du chant, telles Antonio Tamburini, Luigi Lablache ou encore Domenico Cosselli (dont la postérité a moins retenu le nom, mais qui fut pourtant le créateur de Guillaume Tell dans sa version italienne, ou d’Enrico dans Lucia di Lammermoor) que Nicola Alaimo rend ici hommage. Pour ce faire, il va de soi que l’intégrité des pages musicales est respectée : les reprises sont bien sûr assurées, ornées sobrement et avec goût, les codas sont préservées, et le chœur, les comprimari et le protagoniste sont tenus de ne pas profiter de ces codas ou des tempi di mezzo pour se reposer ou reprendre leur souffle ! Il faut dire qu’à la baguette officie Giacomo Sagripanti (qui dirige les excellents chœur et orchestre du Maggio Musicale Fiorentino) dont on connaît, depuis certain Moïse et Pharaon donné à Pesaro en 2021, les évidentes affinités avec le répertoire italien du premier ottocento, ainsi que le grand respect pour le style de l’écriture musicale et l’intégrité des partitions. Pour profiter pleinement des scènes proposées, les introductions orchestrales, les répliques données par les autres personnages ou le chœur sont toutes préservées : un choix qui honore les artistes et la maison Dynamic qui édite cet album.
Nicolas Alaimo signe enfin ici un enregistrement en tout point exemplaire : la virtuosité (un des points forts de Tamburini mais aussi de Cosselli, qui commença sa carrière essentiellement dans le répertoire rossinien) n’est jamais prise en défaut ; les cabalettes sont saisissantes d’autorité ; les récitatifs vécus et habités (Torquato Tasso) ; mais c’est surtout dans le chant cantabile que l’art de Nicola Alaimo fait merveille : porté par un legato que rien ne semble pouvoir altérer, le chant se déploie librement, faisant valoir un timbre de velours, à la morbidezza irrésistible et aux nuances toujours très judicieusement distillées. Les plaintes amoureuses du Comte de Gemma di Vergy, d’Azzo (Parisina d’Este), de Chevreuse (Maria di Rohan), de Torquato (Torquato Tasso) en revêtent des couleurs bouleversantes, d’autant que le chanteur manifeste une attention extrême à l’adéquation entre ce que disent les mots et ce que dit la musique : écoutez comme la voix du baryton blanchit sur les mots « Ogni mio ben in te sperai » ou « Ah ! d’una lagrima il ciglio mio… » avant que Chevreuse ne laisse éclater sa fureur dans une flamboyante cabalette : « Si, ma fra poco di sangue un rio » (Maria di Rohan) ! Du très grand art, qui place définitivement Nicola Alaimo au premier rang des interprètes de ce répertoire.
Bref, cet album est un vrai bijou à découvrir absolument, dont l’écoute pourra être prolongée par celle des (superbes) mélodies donizettiennes parues tout récemment chez Opera Rara et gravées par… Nicola Alaimo !