Charles Castronovo, ténor
Thomas Pavilionis, ténor ; Kristin Sampson, soprano ; Tadas Girininkas, basse
Kaunas State Choir, Kaunas City Symphony Orchestra, dir. Constantine Orbelian
Noble renegades – Charles Castronovo, Verdi, Scenes & Arias
Verdi, airs et scènes extraits de Don carlos, I due Foscari, Macbeth, I Lombardi, Luisa Miller, Jérusalem, Il corsaro.
1 CD DELOS, 55.48′, septembre 2024
Le plus italien des ténors américains
Les affinités de Charles Castronovo avec l’âme italienne ne sont pas le fait de son seul patronyme : un très beau concert de mélodies napolitaines donné à Los Angeles en 2010, visible notamment sur YouTube, nous avait conquis (le ténor s’y accompagnait parfois lui-même à la guitare), par l’émotion sincère qui se dégageait de ce chant, le raffinement de l’interprétation, mais aussi la couleur du timbre, plus sombre que ceux que l’on entend habituellement dans ce répertoire, et qui conférait aux pages interprétées une mélancolie inhabituelle et très bien venue.
U Sciccareddu, Los Angeles, 2010
Depuis, Charles Castronovo a d’ailleurs fait paraître chez GPR Records un album Dolci Napoli très réussi, et l’Italie a toujours occupé une place de choix dans ses concerts : Paris l’a d’ailleurs applaudi en Tebaldo des Capuleti ou Nemorino de L’elisir d’amore – et Edgardo de Lucia di Lammermoor, Elvino de La sonnambula, Alfredo de La traviata ou encore Le Duc de Mantoue de Rigoletto font également partie de la galerie de personnages qu’il interprète sur scène.
Un programme généreux et habilement conçu
Avec cet album Noble renegades, récemment paru chez Delos, c’est donc de nouveau l’Italie qui est à l’honneur, et plus spécifiquement les œuvres du maîtres de Busseto. Le programme couvre une très large période du répertoire verdien, d’I Lombardi (1843) à Don Carlos (1867), avec certains rôles parfois encore ancrés dans le bel canto, d’autres plus nettement lyriques, qui correspondent bien à la vocalité actuelle du ténor. Un programme par ailleurs très intelligemment conçu, permettant au mélomane de retrouver des airs familiers (le « Quando le sere » de Luisa Miller, le « Ma se m’è forza perderti » du Ballo), mais aussi d’entendre des pages beaucoup moins fréquentées (Il corsaro, I due Foscari, Jérusalem). Comme dans le récital Donizetti de Nicola Alaimo récemment chroniqué, on apprécie le fait que le chanteur ait privilégié les longues scènes aux courts extraits : le fait de disposer des récits d’introduction, des répliques apportées par le chœur ou les personnages secondaires constitue un vrai plus et permet de s’imprégner réellement de la situation dramatique et de l’ambiance musicale : l’on a le sentiment d’un véritable hommage rendu au compositeur plutôt que d’un exercice permettant uniquement de mettre en valeur les exploits vocaux de l’interprète. Quelles belles surprises de disposer ainsi du superbe « Come poteva un angelo » qui succède à « La mia letizia infondere », à laquelle s’arrêtent habituellement tous les ténors en récital, ou encore de la cabalette « L’ara, o l’avello » par laquelle s’achève la longue scène de Rodolfo à l’acte II de Luisa Miller. Un seul regret : Charles Castronovo a inclus dans son récital la belle scène de Gaston (Jérusalem), mais cette fois-ci sans la partie finale : « Frappez, bourreaux ! Je reprends ma fierté », pourtant l’une des pages les plus fortes jamais écrites par Verdi pour un ténor. Il est vrai que cela aurait allongé la durée de ce programme déjà généreux et qu’il aurait alors peut-être fallu supprimer une autre page…
Charles Castronovo chantre de Verdi
Après avoir interprété avec un grand succès certains rôles de ténor de demi-caractère ou tenore lirico leggero (essentiellement des emplois mozartiens, certains rôles français ou belcantistes), Charles Castronovo s’est progressivement orienté vers des emplois nettement plus lyriques avec José, le Faust de La Damnation, Riccardo, Gabriele Adorno, Pinkerton ou Cavaradossi. Cet album confirme la très belle forme vocale actuelle du chanteur (en témoignent ses récents Gabriele Adorno à Bastille et Ruggero Lastouc à Monte Carlo, très appréciés par nos confrères Camillo Faverzani et Hervé Casini), mais aussi l’adéquation de ses moyens actuels au répertoire verdien. De fait, la voix du ténor américain a pris une belle épaisseur : la projection, toujours aussi aisée, l’aigu, bien affirmé, se doublent d’un médium et un grave pleins et chaleureux. Autant de qualités qui lui permettent de maîtriser les passages les plus lyriques des pages abordées, avec dans la voix ces couleurs à la fois viriles et mélancoliques qui caractérisent son chant, sans pour autant que le chanteur perde en allant et en fougue dans les cabalettes, dont certaines sont encore nettement d’école belcantiste. On apprécie également comme toujours le soin apporté à la diction et le sens des nuances (en particulier de la mezza voce) et des contrastes, qui permet de colorer la phrase musicale et de lui donner son exacte valeur dramatique.
Don Carlos, "Fontainebleau ! Forêt immense et solitaire"
Si les interventions de Kristin Sampson sont un peu acides, Tomas Pavilionis et Tadas Girininkas apportent au chanteur de belles répliques, et l’on apprécie la baguette sobre et efficace de Constantine Orbelian (à la tête du Chœur d’État et de l’Orchestre symphonique de Kaunas), jamais excessivement démonstrative, capable de distiller le mystère (introduction de la scène de Don Carlos) ou encore de donner aux différentes cabalettes leurs couleurs propres : vaillante et guerrière pour celle de Corrado (Il corsaro), tragique et désespérée pour celle de Rodolfo (Luisa Miller), dont le tempo, judicieusement, est plus retenu qu’à l’ordinaire.
Charles Castronovo sera à Paris à deux occasions dans les mois qui viennent : au TCE pour Max du Freischütz, et à l’Opéra Bastille pour Don Carlos, en version française : deux belles occasions de retrouver ce ténor attachant !