Vannina Santoni, soprano
Albane Carrère, mezzo-soprano
Julien Dran, ténor
Orchestre National de Lille, dir. Jean-Marie Zeitouni
Par Amour
Airs, mélodie et scènes extraits d’opéras d’Alfano, Catalani, Gounod, Massenet, Verdi, Puccini, Tomasi.
1 CD Alpha-Classics
Superbe album qui confirme le très grand talent d’une des meilleures représentantes actuelles du chant français.
Dans le cas d’un premier récital discographique, on parle souvent de disque « carte de visite » présentant un aperçu général d’airs souvent bien (trop !) connus, destinés à faire la promotion de l’artiste auprès des circuits autorisés. Comme on est bien loin de cela avec Par Amour, album à thème de Vannina Santoni, l’une des artistes incontournables du paysage lyrique actuel… et française qui plus est !
Déjà, parce que la soprano lyrique aux origines russo-corses compte, depuis déjà quelque quinze années de carrière, une trentaine de premiers rôles à son actif et se produit sur les plus grandes scènes européennes ; ensuite, parce que le programme qu’elle nous présente, accompagnée par l’orchestre national de Lille dirigé par Jean-Marie Zeitouni, fait preuve des plus belles audaces musicales et s’inscrit dans un véritable projet artistique qu’il convient de saluer avec enthousiasme.
On pourrait se dire que la thématique amoureuse, dans le domaine de l’Opéra, au disque, est tout de même passablement fréquentée par les grandes dames de l’art lyrique ? L’auteur de ces lignes en est peut-être le premier surpris mais, dès les premières minutes d’écoute, force est de reconnaître que la captatio benevolentiae que Vannina Santoni parvient à instaurer auprès de l’auditeur est du plus grand intérêt : amorçant son programme par l’une des scènes les plus dramatiques de la Giovane Scuola, extraite du Risurrezione d’Alfano, l’air de Katiusha, attendant avec anxiété, sur le quai d’une petite gare russe, l’homme qu’elle aime, nous donne un premier exemple de l’impact d’une voix qui, bien que foncièrement lyrique, sait mettre toutes les forces de son ambitus vocal au service de la vérité dramatique. Certes, à ce stade de la carrière, ce serait sans doute prématuré d’aborder ce type d’emploi sur scène, mais bien encadrée ici par un chef aux petits soins, c’est tout de même diablement efficace ! C’est la même impression que nous laisse l’écoute du célébrissime « Ebben ? Ne andrò lontana » de La Wally, même si, avouons-le, nous sommes personnellement ici moins saisis par l’air en soi – magnifique mais sans doute trop entendu ? – que par la palette de nuances insoupçonnées et ce soffio que la soprano arrive à y faire passer, performance que l’on retrouvera dès les premières phrases d’« O mio babbino caro » (Gianni Schicchi) chanté comme une authentique berceuse, à fleur de lèvres, avec un art consommé de la mezza voce dont on ne se souvient pas d’avoir entendu l’équivalent. On est, enfin, personnellement heureux d’entendre une nouvelle gravure de l’air d’Anna « Se come voi piccina io fossi », extrait du premier opéra de Puccini, Le Villi : Vannina Santoni y déploie une ligne de chant adamantine qui ne laisse planer aucun doute sur l’authentique puccinienne qu’elle est et sera encore dans ses futurs emplois.
Ce qui frappe d’emblée à l’écoute de la plupart des extraits réunis, c’est cette qualité de sincérité dans l’accent et une couleur de voix dont l’identité est rapidement reconnaissable : dans l’Air du saule puis l’Ave Maria de Desdemona (Otello), on retrouve cette intelligence de l’approche d’une scène qui réclame de l’interprète de pouvoir exprimer tous les degrés du sentiment de la mort qu’elle ressent prochaine. Particulièrement soutenue dans cette entreprise par le mezzo velouté de l’Emilia d’Albane Carrère, l’artiste côtoie ici les étoiles et nous émeut avec simplicité.
La partie française du récital est peut-être la plus passionnante : ici, Vannina Santoni joint à la richesse de la voix, une vision personnalisée du texte : passons sur la colorature de l’air d’entrée de Juliette (« Ah ! je veux vivre ») qui ne nous a pas totalement séduit pour insister davantage sur l’authentique tableau réaliste que peint devant nous la chanteuse dès les premières notes de son « Adieu, notre petite table » (Manon), petit bijou d’interprétation nostalgique. C’est pourtant, un instant auparavant, d’une voix glorieuse que notre soprano aborde le récitatif du même air, « Allons, il le faut », sans jamais perdre de vue le sens du texte : la phrase « Je ne suis que faiblesse et que fragilité » est ainsi admirablement ponctuée.
Avec un orchestre national de Lille vif argent et la présence luxueuse du ténor Julien Dran, ici particulièrement à son aise, le duo de St Sulpice (Manon) est sans doute l’un des moments les plus excitants d’un programme qui n’en manque pas : c’est là le Massenet que l’on aime, tout de passion et de raffinement dans l’écriture vocale et l’on comprend, avec ce duo, pourquoi cet album ne pouvait s’appeler autrement que « Par amour » ! Enfin, la sensualité provoquante et les nombreuses nuances de désespoir de l’Air du miroir de Thaïs trouvent dans le soyeux, soudain éclatant, de l’organe de Vannina Santoni un écrin idéal.
C’est non sans une certaine émotion que l’on écoute la conceptrice de ce fort bel album prendre congé de l’auditeur avec un hommage à ses origines insulaires corses et au grand Henri Tomasi – qu’il faudrait davantage défendre sur nos scènes – dont elle délivre une bouleversante interprétation d’« O Ciucciarella », berceuse extraite de Six mélodies populaires corses. Même si ce n’était que pour entendre la façon dont, dans ce dernier titre, l’interprète cisèle chaque mot de cette langue si chère à son cœur, ce disque serait à acquérir de toute urgence !