P. Bolleire (basse)
M.-A. Bouchard-Lesieur (mezzo-soprano)
A. Charvet (mezzo-soprano)
T. Dolié (baryton)
J. Dran (ténor)
I. Druet (mezzo-soprano)
C. Dubois (ténor)
K. Gauvin (soprano)
M. Le Gall (acteur)
P.-N. Martin (baryton)
H. Montague Rendall (baryton)
M. Petit (soprano)
S. Ratia (ténor)
R. Van Mechelen (ténor)
Les pianistes F. Caroubi, N. Gouin, Celia Oneto-Bensaïd, A. Romaniuk
Orchestre national de Lyon, dir. B. Glassberg
Orchestre national de Metz, dir. D. Reiland
Le Concert de la Loge, dir. J. Chauvin
Les Siècles, dir. F.-X. Roth
Flemish Radio Choir – Chœur de l’Opéra de Lille
- Djamileh, opéra-comique sur un livret de L. Gallet ; Vasco de Gama, ode-symphonie sur des vers de L. Delâtre ; Le Retour de Virginie, cantate sur des vers d’A. Rollet ; Clovis et Clotilde, cantate sur des vers d’A. Burion
- chœurs Le Golfe de Baïa, La Chanson du rouet, La Mort s’avance.
- Ouverture en la mineur
- Mélodies Guitare, La Coccinelle, Vieille chanson, Adieux de l’hôtesse arabe, Chanson d’avril, Pastel, Rose d’amour, la Nuit, Aimons, rêvons, Si vous aimez, La Rose et l’abeille, Sonnet, Ma Vie a son secret, Matin, Voyage.
- Pièces pour piano
Coffret Georges Bizet, Palazzetto Bru Zane, 2025 : textes de présentation, livret et 4 cd, présentation en français et en anglais
Commémorer Georges Bizet en 2025, hors Carmen, c’est pouvoir (enfin) écouter ses œuvres peu jouées ou quasi inconnues. Non seulement celles lyriques – Djamileh – et celles non scéniques (Vasco de Gama), mais également ses cantates, chœurs, mélodies et musiques pour piano. Grâce aux fins limiers du Palazzetto Bru Zane et à une pléiade d’artistes et orchestres investis, cinq heures de musique vous attendent !
L’envoutement de Djamileh
Adapté par L. Gallet du conte oriental Namouna d’A. de Musset, l’opéra-comique Djamileh (1872) est la pépite du coffret. Si les publics des Opéras de Tours et de Tourcoing ont goûté ce spectacle, plébiscité par notre confrère, tout auditeur souhaitera écouter et récouter cette partition raffinée sur une trame exhibant les poncifs du harem. Entre Les Pécheurs de perles et la future Carmen, l’orientalisme à la Félicien David est néanmoins un catalyseur pour Bizet : orchestration suggestive (cor anglais de la danse des almées), mobilité des voix au sein des ensembles, empreintes rythmiques façonnant le chœur « à mi-voix », danses indolentes, harmonies surprenantes, spatialisation depuis les coulisses, tout est inspiré et inspirant ! Dans l’écrin orchestral des Siècles (dir. F.-X. Roth) et du Chœur de l’Opéra de Lille, les trois protagonistes dialoguent pour nous (et se) révéler ce qu’est la découverte amoureuse. Si l’articulation mordante du baryton Philippe-Nicolas Martin (l’intendant du harem Splendiano) dans ses couplets (n° 8 ) et la palette expressive du tenorino un brin nasal de Sahy Ratia (le prince Haroun) participent du divertissement, l’envoutement surgit des prestations de la jeune héroïne. Car l’esclave égyptienne ose se présenter sous deux identités successives pour ensorceler le jeune égyptien dont le désir inconsistant tient lieu de credo cruel. Somptueusement incarnée par la mezzo Isabelle Druet, les facettes de la douce et tenace Djamileh miroitent au gré de ses stratégies. Dotée d’un puissant tempérament dramatique, l’artiste déploie un médium et un grave solides, une souplesse élégante (air du rêve) et une parfaite diction, magnifiés par une expressivité qui s’élargit au fil de l’acte unique. Depuis le lamento un brin berliozien (« Ghazel ») jusqu’au duo d’amour conclusif (n°9) qui brise déjà les codes « opéra-comique », l’artiste convainc non seulement son amoureux, mais tout autant les auditeurs. Ce face-à-face femme/homme, conduit par l’esclave Djamileh, plus déterminée que l’inconsistant prince, est une voie qui ouvrira à Carmen. En dépit du succès public et de presse mitigé, Bizet dévoile d’ailleurs sa conscience de créateur au lendemain de la création de Djamileh : « Ce qui me satisfait plus que l’opinion de tous ces messieurs, c’est la certitude absolue d’avoir trouvé ma voie. Je sais ce que je fais. » (lettre du 17 juin 1872)
Expérimenter l’ode-symphonie après les cantates de ses études
Musicien prodige – 1er prix de piano encore enfant, compositeur du Docteur Miracle à 18 ans – le jeune Bizet (1838-1875) ne révèle-t-il pas ses talents dès les cantates du Prix de Rome ? Et par là-même l’excellence de l’enseignement du professeur Fromental Halévy au Conservatoire national ? Deux scènes lyriques reflètent les codes du prix décerné par l’Académie des Beaux-Arts. La première est un exercice-tremplin datant de ses études (1855), ici en premier enregistrement mondial. Le Retour en Virginie, condense le célèbre roman de Bernardin de Saint-Pierre. Bizet y développe la couleur locale (duo « Bengalis d’alentour », l’Orage) et la solitude du héros Paul dans l’air « Virginie, ma sœur », distillé par Cyril Dubois. La Prière atteint le pic d’émotion : les trois voix de Paul, sa mère (Marie-Andrée Bouchard-Lesieur) et le Missionnaire (Patrick Bolleire) s’entrelacent sur des nappes de harpe et de vents[1]. On ne peut s’empêcher d’évoquer le futur Faust de Gounod, compositeur qui fut son mentor hors du Conservatoire et demeura son référent stylistique.
La seconde cantate, Clovis et Clotilde s’inscrit dans l’historicisme chrétien que favorise le Second Empire. Couronné du 1er Prix de Rome en 1857, sésame d’une carrière française, Georges partira à la Villa Médicis pour quatre années. Les épisodes combattifs du roi des Francs et ceux du mysticisme chrétien sont ici traités selon les canons mêlés du grand opéra (ouverture) et du bel canto. Quel lyrisme préférer ? La prière émouvante de son épouse Clotilde (Karina Gauvin) et de l’évêque Rémy (Huw Montague Rendall), qui nous rappelle certain épisode de La Favorite de Donizetti ? Ou bien la conversion de Clovis (Julian Dran), valeureux trio conclusif ?
Tout aussi inédits, les chœurs avec orchestre de Bizet s’inscrivent également dans l’esthétique « Prix de Rome » puisque les premiers sont les fruits du premier tour de concours. L’auditeur sera sans doute frappé par la maturité de La Chanson du rouet (Leconte de Lisle). Cependant, dans cette catégorie, La Mort qui s’avance (1869) surprend par sa méditation sévère associée à la virtuosité compositionnelle : l’écriture chorale s’adosse à l’ossature d’Etudes de Chopin ! Un compositeur et interprète adulé par Bizet.
D’autres visées président à la composition de l’ode-symphonie Vasco de Gama, fruit de ses productions romaines à la Villa Médicis. Contemporaine des premières Expositions universelles, l’œuvre, créée en 1863 à Paris, sélectionne ce nouveau genre, médiatisé par Félicien David (Le Désert), pour célébrer le navigateur portugais. Il s’agit donc d’une fresque orchestrale[2] et vocale avec récitant, sans représentation scénique. Si les chœurs résonnent ici dans le registre « pompier », quelques soli tirent leur épingle du jeu. Au sein de cinq solistes, celui éponyme, réservé au noble baryton-basse Thomas Dolié, n’est curieusement pas le mieux doté. En revanche, le rôle du géant Adamastor, personnifié par des voix de basses (issues du Flemish Choir) anime la fresque avec plus d’originalité, ainsi que celui du jeune matelot Léonard (soprano Mélissa Petit), notamment dans le boléro « La marguerite a fermé sa corolle » (n° 3) . Nous sommes en revanche peu séduits par le récitant (M. Le Gall), dont la participation trop conventionnelle nuit à la teneur épique.
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[1] Orchestre national de Lyon.
[2] Orchestre national de Metz.
L’intimité poétique des mélodies
Dans le domaine intime de la mélodie, la variété des inspirations poétiques est de mise, tout autant que l’ombre portée de Charles Gounod. Les choix poétiques évoluent en effet du registre consensuel, propre au salon bourgeois – celui de Marie Trélat que Bizet fréquente -, vers un certain affranchissement. Pour autant, celui-ci ne semble pas aussi affirmé que dans ses œuvres lyriques. Sur les vers de Victor Hugo, les mélomanes reconnaitront les capiteux Adieux de l’hôtesse arabe[1] et, sans doute, découvriront-ils l’effusion charnelle de La Coccinelle sous les envolées frémissantes d’Adèle Charvet (mezzo-soprano), scandées par Florian Caroubi au clavier. Plus proche du galbe mélodique de Gounod, La Nuit (Paul Ferrier) dispense un sillage suggestif, tout comme la valse langoureuse d’Aimons, rêvons, tant le ténor Reinoud Van Mechelen maîtrise l’art du legato. Relevons la connotation « musique ancienne » du Sonnet de Pierre de Ronsard. Et quelle surprise de reconnaître l’autocitation pianistique de L’Arlésienne (la Pastorale) infusant sous la mélodie Le matin ! Dommage de ne pas goûter aux mélodies sur les poèmes de Musset : elles auraient pu faire un pendant à Djamileh. Nous regrettons de manquer de places pour aborder les pièces de piano, virtuoses (Variations chromatiques) et romantiques à souhait (Chasse fantastique).
Coup de cœur pour ce précieux coffret dont les richesses musicales sont associées à la documentation d’articles approfondis. L’auditeur ressort plus admiratif que jamais du génie de Bizet, disparu à l’âge de trente-six ans. D’autant que la bigarrure de ses inspirations en fait un artiste à la sensibilité vraiment contemporaine !
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[1] Mélodie que Bizet dédie à Caroline Miolan-Carvalho, la créatrice de Marguerite dans Faust, de Mireille et de Juliette dans Roméo et Juliette de Gounod.
Pour aller plus loin dans le cent-cinquantenaire BIZET …
- Hervé Lacombe, Carmen à sa création. Une Andalousie âpre et fauve, Actes Sud / Palazzetto Bru Zane, 2025.
- Spectacle L’Arlésienne, Le Docteur Miracle au Théâtre du Chatelet, du 26 mai au 3 juin 2025 : https://www.chatelet.com/programmation/24-25/larlesienne-le-docteur-miracle/
- Le Docteur Miracle de Bizet, Avant-scène Opéra, n° 344, 2025 : https://www.asopera.fr/produit/299/9782843856969/le-docteur-miracle