Norma Sondra Radvanovsky
Adalgisa Joyce DiDonato
Clotilde Michelle Bradley
Pollione Joseph Calleja
Oroveso Matthew Rose
Flavio Adam Diegel
The Metropolitan Orchestra & Chorus, dir. Carlo Rizzi
Mise en scène : David McVicar
Norma
Opéra en deux actes de Vincenzo Bellini, livret de Felice Romani, créé le à la Scala de Milan le 26 décembre 1831.
Spectacle enregistré au Metropolitan Opera de New York en 2017
1 DVD ERATO, 2018
Sondra Radvanovsky, sans doute l'une des meilleures titulaires actuelles d'un rôle impossible
Sondra Radvanovsky est, fort heureusement régulièrement invitée par l’Opéra de Paris. Elle l’est cependant essentiellement dans les répertoires verdien et puccinien : même si elle y excelle (qui d’autre aujourd’hui parviendrait à faire bisser l’élégiaque « D’amor sull’ali rosee » du Trouvère à Bastille ?), elle compte dans ces rôles quelques rivales fameuses (Yoncheva et Netrebko entre autres, pour ne citer que les plus célèbres d’entre elles). Elle est en revanche difficilement égalable dans le bel canto, le soprano drammatico d’agilità, requérant une pleine puissance vocale y compris dans les coloratures et un registre grave opulent, étant devenu (ayant toujours été ?) une denrée plutôt rare. Aussi l’annulation des représentations du Pirate, prévues en décembre 2019, avait-t-elle suscité une grande déception…
Pour atténuer notre frustration, nous pouvons nous rabattre sur cette représentation de Norma, captée lors de soirées données en 2017 au Metropolitan Opera – soirées qui constituèrent, cette année-là, l’un des événements majeurs de la saison lyrique.
La voix de Sondra Radvanovsky ne délivre pleinement ses sortilèges qu’en live, les enregistrements surlignant souvent ses défauts, à commencer par un timbre pas toujours très pur et une ligne de chant parfois un peu lourde (la cabalette « Ah, bello, a me ritorno » s’en ressent…) En revanche, sont préservés au disque ou au DVD l’élégance du cantabile, la technique souveraine, autorisant à la chanteuse un legato somptueux, des piani incarnés, des nuances toujours utilisées à des fins dramatiques et non hédonistes. Et surtout, une émotion de tous les instants. Ce qui fait les grandes Norma – et ce qui les rend si rares… –, c’est cette indispensable et subtile alliance d’autorité dans l’accent et de fragilité, de faiblesse, lesquelles doivent transparaître jusques et y compris dans les imprécations solennelles de la prêtresse. On trouvera en DVD des Norma plus accomplies techniquement (Anderson, Devia), à l’instrument plus rond, plus parfait (Yoncheva, Caballé). Mais sur le terrain de l’émotion pure, c’est Sondra Radvanovsky qui l’emporte. Son « Teneri figli », le « Son io » de son sacrifice ultime, son « Deh, non volerli vittime… », supplique éperdue dont la ligne vocale se fait pleurs autant que chant, vous tireront les larmes…
Sondra Radvanovsky, « Casta diva » (Opéra Bastille, 2016)
Mais au-delà du rôle-titre, ce qui fait le prix de ce DVD, c’est aussi la qualité d’ensemble du spectacle. La tessiture d’Adalgise éprouve parfois un peu la voix de Joyce DiDonato (comme celles de quasi tous les mezzos distribués dans ce rôle…), dont les aigus ont tendance à devenir fixes. À ce détail près, l’incarnation est superbement maîtrisée. Un signe qui ne trompe pas : comme toutes les grandes, la chanteuse parvient à faire de « Deh ! Proteggimi, o Dio ! » (qui, trop souvent, passe inaperçu sur scène ou au concert), une page de premier plan. La voix de Joseph Calleja est presque trop tendre et chaleureuse pour ce goujat de Pollione ! Mais son chant tout en nuances et la couleur chaude de son timbre se marient particulièrement bien avec ceux de Radvanovsky. Oroveso bénéficie de la voix saine de Matthew Rose, et il n’est jusqu’à Clotilde qui attire notre attention : rien que de très naturel, puisque Michelle Bradley, qui incarne le personnage, a aussi à son répertoire Aida (chantée à Nancy), Elvira d’Ernani (chantée à San Francisco) ou Leonora du Trouvère (chantée à Vienne) !
Ajoutons que la direction de Carlo Rizzi, à la tête d’un orchestre et de chœurs somptueux, ne fait pas dans l’esbrouffe mais sert la partition, rendant compte tout autant de sa mélancolie lunaire que de sa grandeur tragique, tout en, respectant (c’est tellement rare !) l’esthétique propre à ce répertoire : on aura ainsi (enfin !!) l’occasion d’entendre la reprise de « Ah ! bello a me », le final intégral de l’acte I, ou encore l’introduction complète de l’acte II.
La mise en scène de Davic Mc Vicar, enfin, est une bonne surprise. Le cadre spatio-temporel du livret est respecté, mais le metteur en scène ne se contente pas d’une simple mise en images de l’œuvre. Toute l’action se déroule de nuit, dans une forêt détrempée par la pluie, et l’accent est mis sur le côté rude, voire sauvage de la civilisation gauloise, avec des femmes et des hommes violents et belliqueux. La direction d’acteurs est par ailleurs très travaillée : Pollione a dans son jeu la violence, l’arrogance et la suffisance qui manquent un peu à son chant ; Joyce DiDonato brosse une Adalgise très émouvante, femme frêle et fragile tentant de lutter du mieux qu’elle peut contre la brutalité du légionnaire romain ; Sondra Radvanovsky est également totalement impliquée dans son rôle, et apparaît, dès ses premières scènes, comme une femme déjà brisée par un destin contraire, rendant le personnage profondément humain et émouvant. Signalons enfin que Davic Mc Vicar parvient à rendre le revirement final de Pollione crédible, ce qui n’est pas un mince mérite…