Lohengrin à Stuttgart : la grise étoffe des héros
Captation d’un LOHENGRIN mis en scène par Árpád Schilling au Staatsoper de Stuttgart
Bel Air Classiques publie en DVD la captation d’un Lohengrin donné au Staatsoper de Stuttgart : mise en scène intéressante, qui fait de Lohengrin un héros malgré lui, mais pas sûr que musicalement le compte y soit tout à fait.
C’est en décembre 2012 que le metteur en scène de théâtre hongrois Árpád Schilling a fait ses premiers pas à l’opéra, avec un Rigoletto toujours au répertoire du Bayerische Oper de Munich. Qualifié de « concert en costumes » par une partie de la critique, ce Rigoletto apparaît pourtant d’un luxe scénique débridé en comparaison avec le Lohengrin que Schilling a monté à Stuttgart en septembre 2018.
Un héros comme tout le monde
Tout s’y déroule dans une quasi-absence de décors, le plateau nu étant excellemment éclairé et occupé – très habilement, il faut le reconnaître – par les déplacements du chœur ; quant aux costumes, uniformément taillés dans le tergal grisâtre (sans oublier les lunettes oblongues à grosse monture), ils nous renvoient aux grandes heures d’Inspecteur Derrick, inusable série policière teutonne réalisée à partir de 1974 et diffusée en France dans la deuxième moitié des années 1980. Seule Ortrud fait figure de vamp avec sa robe à motifs léopard – léopard gris, néanmoins –, car Lohengrin apparaît ici non comme un être de lumière quasi surnaturel, mais comme une émanation de la foule d’où il est issu et qui l’a choisi au hasard : vêtu exactement comme l’un de ses membres, il est propulsé dans un rôle pour lequel il n’est pas particulièrement fait, il est manipulé plus qu’il n’agit de son propre chef, et il finira non par repartir pour d’autres aventures, mais simplement par se mêler à nouveau à la foule, désormais vêtue d’habits très colorés, la noce aidant.
Evidemment, un tel chevalier ne saurait avoir qu’un cygne en peluche, qu’il tire de son blouson pour le remettre à Elsa. Le spectacle décline le clin d’œil avec une multiplication des anatidés : au deuxième acte, Ortrud fait sortir de sa valise un cygne grandeur nature, cette fois (le Héraut se demandera plus tard s’il est tombé du ciel). Pour le mariage, les dames forment au sol une rivière avec les blousons gris des messieurs – opportunément dotés d’une doublure bleu ciel – et y déposent six faux cygnes nageant (Ortrud shootera dedans). Et au dernier acte, Lohengrin furieux de la trahison d’Elsa tirera de sous le lit nuptial quatre cadavres de cygne.
Une version musicalement solide mais peu enthousiasmante
Musicalement, on a affaire à une version sans stars, solide mais sans fastes particuliers. En fosse, Cornelius Meister connaît son Wagner mais, peut-être par souci de propreté d’exécution, s’en tient à des tempos modérés qui ne permettent pas aux moments les plus échevelés de décoller réellement. L’orchestre de Stuttgart est une formation de haut niveau, et l’on salue surtout la prestation du chœur, auquel la mise en scène confère un rôle plus que jamais essentiel. Peut-être aurait-il fallu, pour que cette production atteigne des sommets, une distribution un peu plus enthousiasmante. Personne ne démérite vraiment, mais les têtes d’affiche sont un peu en deçà de ce que l’on pourrait attendre. Le héraut de Shigeo Ishino et le roi de Goran Jurić sont de très bon niveau, et parmi le quatuor principal, le plus remarquable est sans doute le Telramund de Martin Gantner, baryton à l’aigu brillant et à la diction incisive, qui compose un attachant personnage de loser. Okka von der Damerau est une Ortrud bien moins sorcière que ce n’est parfois le cas, et on lui donnerait d’abord le bon Dieu sans confession, ce qui tient peut-être à la clarté de son timbre. Cela devient presque gênant face à l’Elsa de Simone Schneider, qui a certes les moyens du rôle, mais pas les couleurs pures et virginales qu’on voudrait chez un personnage dont on ne cesse de nous rappeler l’innocence : la voix est souvent trop sombre, trop mûre, et ce qui ne serait en rien un problème pour d’autres héroïnes wagnériennes est embarrassant quand, dans le dialogue avec Ortrud, la « gentille » sonne plus grave que la « méchante ». Michael König, enfin, convient bien à l’optique de cette production, avec un Lohengrin en brave gars devenu héros malgré lui, mais la voix reste quand même très nasale.
Lohengrin Michael König
Elsa Simone Schneider
Telramund Martin Gantner
Ortrud Okka von der Damerau
Le roi Goran Jurić
Le héraut Shigeo Ishino
Staatsopernchor Stuttgart, Staatsorchester Stuttgart, dir. Cornelius Meister
Mise en scène Árpád Schilling
Lohengrin
Opéra romantique en 3 actes de Richard Wagner, créé le 28 août 1850 à Weimar.
Spectacle capté en octobre 2018
2 DVD Bel Air Classiques