Sadko : Nazhmiddin Mavlyanov
Tsar de la Mer : Stanislav Trofimov
Néjata : Yuri Minenko
Pipeau (Duda) : Mikhaïl Petrenko
Chalumeau (Sopel) : Maxime Paster
Le marchand hindou : Alexeï Nekludov
Le marchand Varègue : Dmitri Oulianov
Le marchand vénitien : Andreï Jilikovski
Volkhova : Aida Garifullina
Lioubava Bouslanyevna :Ekaterina Semenchuk
Orchestre et chœurs du Bolchoï , dir. Timur Zangiev
Mise en scène : Dmitri Tcherniakov
Sadko
Opéra-bylina en 7 tableaux de Rimski-Korsakov, livret du compositeur, avec Findeisen, Stassov et Bielski, créé à Moscou le 7 janvier 1898.
1 DVD Bel Air Classiques, enregistré au Bolchoï (Moscou) en février 2020.
Dmitri Tcherniakov aime les jeux de rôle (on se rappelle sa Carmen au festival d’Aix), mais il aime aussi les jeux télévisés, apparemment. Sa production moscovite de Sadko commence par une vidéo où un jeune homme interviewé sur ses opinions et motivations déclare qu’il aimerait être « un boïar dans un conte fées russe ». Qu’à cela ne tienne, on le retrouve bientôt devant l’entrée du « Parc de réalisation des souhaits » où il pourra être le légendaire Sadko à Novgorod. Nous sommes dans une sorte de version slave de « Fort Boyard » (le jeu français a été exporté dès 1998 vers la Russie où il est programmé presque tous les ans), où un sosie du père Fouras accueille et accompagne le héros, et où Sadko, lorsqu’il pêche les trois poissons magiques envoyés par Volkhova, vide les pièces d’or qu’ils contiennent dans une urne qu’on croirait sortie de l’émission jadis créé sur France 2. Aux épreuves habituelles s’ajoute une thérapie conjugale, puisque la femme de Sadko participe aussi, pour tâcher de comprendre les raisons du désamour de son mari à son endroit ; le jeu se complique encore quand une séduisante jeune femme explique, dans la vidéo initiale, son désir de tomber éperdument amoureuse. C’est là que Tcherniakov se montre particulièrement roublard car il réussit à la fois à contenter les traditionnalistes avec un Sadko presque entièrement fidèle à la lettre du livret (en décors historiques et costumes un peu kitsch, tous les hommes arborent la même barbe postiche blonde, toutes les dames la même longue natte blonde dans le dos) et à proposer une lecture montrant qu’il n’est pas dupe, le protagoniste finissant par être confronté au dur retour à la réalité, son rêve un moment matérialisé par les employés du Parc étant à jamais dissipé. On retrouve ici, poussé plus loin, un procédé déjà présent dans ses mises en scène de La Fiancée du tsar ou de Rousslan et Ludmilla, qui s’ouvraient par une scène pouvant donner l’impression qu’on allait assister à une mise en scène conservatrice.
Musicalement, le résultat est splendide, et l’orchestre et les chœurs du Bolchoï dirigés par Timur Zangiev rendent tout à fait justice à la partition de Rimski-Korsakov. Mikhaïl Petrenko et Maxime Paster sont deux luxueux bouffons (le premier est régulièrement Grémine ou Pimène au Maryinski, le second était le tsar Berendeï dans Snegourotchka à l’Opéra Bastille). Dans le rôle très épisodique des trois marchands étrangers, si l’on n’atteint pas tout à fait le niveau des titulaires de légende, les trois chanteurs recrutés pour l’occasion ne se hissent pas moins à une certaine hauteur : l’Indien d’Alexeï Nekludov est suave à souhait, le Varègue de Dmitri Oulianov a toute la rudesse souhaitée, et Andreï Jilikovski est un Vénitien convaincant. Héritant des rôles travestis dans tous les opéras russes montés par Tcherniakov (Ratmir dans Rousslan, Lel dans Snegourotchka), Youri Minenko se montre particulièrement percutant en barde Nejata. Ekaterina Semenchuk évite habilement le stéréotype de l’épouse larmoyante dans le personnage un peu sacrifié de Lioubava. Mais le succès de la soirée repose aussi en grande partie sur les épaules du couple central. En quelques années, la voix d’Aida Garifullina s’est superbement étoffée, sans rien perdre de sa virtuosité, et la soprano campe une princesse Volkhova pleine de jeunesse et d’espièglerie. Quant à Najmiddin Mavlyanov, il est la révélation de cette captation : dans un rôle écrasant, où le compositeur ne cesse d’en demander toujours davantage et jusque dans les dernières minutes, le ténor ouzbek est stupéfiant, et assure dignement la succession de l’autre Sadko du DVD, Vladimir Galouzine qui relevait le défi avec le sourire, dans une captation réalisée en 1993 (sans remonter jusqu’à Vladimir Atlantov au Bolchoï en 1980, également disponible). Il était grand temps qu’une autre version vienne s’ajouter à la vidéographie, et l’on se réjouit qu’elle soit d’une telle qualité.