Pierre Brévignon, Le Groupe des six, une histoire des années folles
Expression spontanée d’une insouciance retrouvée ? Réaction cathartique aux horreurs de la Première Guerre mondiale ? Les « années folles », quoi qu’il en soit, apparaissent comme une parenthèse quelque peu extravagante, au sein de laquelle une vie culturelle et artistique particulièrement foisonnante donna naissance à des mouvements plus ou moins étonnants – voire foutraques -, qui touchèrent aussi bien la musique que la littérature ou les arts plastiques. C’est dans ce contexte de douce folie que naquit le fameux « Groupe des Six » rasemblant six compositeurs (G. Auric, L. Durey, A. Honegger, D. Milhaud, F. Poulenc et G. Tailleferre), d’abord désigné, lors de ses première apparitions, par l’expression « Nouveaux Jeunes », avant qu’Henri Collet ne le baptise du nom grâce il passa à la postérité.
Curieuse postérité… Dès 1921, le groupe, qui n’a, collectivement, composé que deux œuvres (L’Album des Six et Les Mariés de la Tour Eiffel, qui seront créés en 1921 au Théâtre des Champs-Élysées – et à l’écriture desquels Louis Durey ne participera pas) se disperse. Les Mariés seront créés à New-York en 1923, mais leurs reprises aux XXe et XXIe siècles restent fort rares (notons, dans les années 2000, une coproduction entre le Centre de l’Océan Indien et le Théâtre de Namibie ; le spectacle fera escale à Avignon en 2001 à l’occasion de la 55e édition du festival). Pourtant, l’identité du groupe est bien ancrée dans l’imaginaire collectif, les Six étant devenus l’un des symboles des « années folles » qui les ont vus – ou fait – naître, et du « renouveau vivace » (j’emprunte cette expression au critique Jean Marnold) qui leur est lié.
C’est cette singulière et fulgurante épopée que retrace Pierre Brévignon dans un ouvrage qui mêle de façon vive et naturelle récit historique, récits biographiques et analyses musicales et artistiques. Ce sont au total quelque deux cents pages qui se dévorent avec gourmandise et procurent l’étonnante impression de vivre dans l’immédiate proximité des principaux acteurs de cet étonnant renouveau culturel et artistique. Alerte, d’une érudition souriante et jamais pesante, la plume de l’auteur refait surgir non seulement les musiciens de l’époque (aux côtés des Six apparaissent le vieux Debussy, Ravel, Stravinsky, Satie, Schoenberg,…) mais aussi les écrivains (Gide, Cocteau bien sûr, Radiguet, Apollinaire, Lucien Daudet, Paul Morand, Blaise Cendrars…), les peintres (Picasso, Laurencin, Fauconnet, Dufy, Juan Gris, Valentine et Jean Hugo,…), les chorégraphes (Nijinski, Jean Börlin) – tant il est vrai qu’au cours de cette période, les frontières entre les arts furent particulièrement poreuses, les artistes mettant, comme rarement dans l’histoire de l’art, un point d’honneur à travailler ensemble et de façon complémentaire.
On achève la lecture de ce livre avec la furieuse envie d’écouter ou de réécouter, de découvrir ou de redécouvrir certaines œuvres des Six ou de leurs contemporains : Les Mariés de la Tour Eiffel bien sûr, mais aussi le Bestiaire, sur les poèmes d’Apollinaire, que Louis Durey composa en même temps que Poulenc écrivait le sien, ou encore Les Machines agricoles de Milhaud, mélodies dont les textes sont tirés d’un catalogue de vente de machines agricoles (pour s’en tenir au seul domaine vocal, qui intéresse tout particulièrement les lecteurs de Première Loge…) Ce n’est pas le moindre mérite de l’ouvrage !
On trouvera en annexes les trois précieux articles qu’Henri Collet consacra au Groupe des Six dans Comœdia, une bibliographie et surtout de très précieux conseils discographiques.
Actes Sud, septembre 2020, 249 pages, 20 euros