« Pour mon père une chanteuse c’était la Callas ou Kiri Te Kanawa, Montserrat Caballé, rien de moins ». Issue d’un milieu atypique, mi-aristocrates athées, mi-communistes militants, Agnès de Brunhoff n’a pas eu une enfance des plus simples. Et le parcours qu’elle retrace dans son livre L’Engagement détaché, et qui l’a conduite à s’occuper « du souffle et de la préparation corporelle des chanteurs au Département d’Art Lyrique » du CNSM, n’a rien de simple, lui non plus. Avant d’en arriver là, elle a en effet touché à tout : le piano (dans sa famille, c’est une obligation pour toutes les jeunes filles), le théâtre, le cinéma, la danse, la chanson, s’essayant à tous les métiers du spectacle, des plus exposés aux plus discrets.
Souffrant de blocages physiques et psychologiques qui l’empêchaient de s’épanouir comme elle en rêvait dans la carrière artistique, la petite-fille du créateur de Babar a eu la chance de croiser sur son chemin ceux qui lui ont fait découvrir la Technique Alexander. Auteur de plusieurs ouvrages publiés dans les premières décennies du XXe siècle – dont L’Usage de soi, paru en 1932 mais seulement traduit en français en 1996 –, l’acteur australien Frederick Matthias Alexander (1869-1955) avait conçu un ensemble de pratiques visant à remédier à ses propres problèmes vocaux, et plus généralement à réconcilier le corps et le psychisme, principalement à destination des artistes. Totalement convaincue par la Technique Alexander et par les bienfaits qu’elle lui a apportés, Agnès de Brunhoff en est bientôt venue à l’enseigner et a ouvert une école pour former d’autres professeurs. Comme elle le précise, il ne s’agit pas de proposer des remèdes miracles, au coup par coup, mais de nous inviter à reconsidérer tout notre mode de vie, et notamment notre rapport aux machines qui envahissent notre quotidien : « Le mot ‘technique’ nous rapproche de la voix (technique vocale), de la musique (technique instrumentale), pour développer un usage de soi optimum ».
Sa proximité avec les chanteurs d’opéra s’est ainsi développée au fil des années, et l’on apprend qu’elle a notamment travaillé avec Julie Robard-Gendre pour la Carmen de Rennes (mais l’on regrette de ne trouver nulle part le « témoignage au dos ce livre » où la mezzo-soprano était censée évoquer ce « beau chemin ensemble »). Ce n’est là qu’un détail, et nul doute que ceux dont l’instrument est la voix, et donc le corps, se reconnaîtront ici ou là dans les interrogations de celle qui déclare : « Je voulais combiner des univers si différents, le classique tout en redoutant de faire Castafiore, et la chanson populaire en ne chantant pas populaire »…
Agnès de Brunhoff, L’Engagement détaché, l’avenir d’un nouvel usage de soi. Editions Delatour France, 2021. 198 pages, 22 euros